Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/941

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mentaire, toute dépouillée et abstraite, et puis regardez à l’autre extrémité de la voûte : les siècles ont marché, et voilà l’idée religieuse pourvue de tous ses symboles, de toutes ses liturgies, de tous ses rites, magnifiquement drapée dans ses traditions comme Zacharie en prière dans sa robe sacerdotale. Le cycle est accompli, et le pauvre lis humain que nous contemplons en Jonas est ici plus richement vêtu que Salomon dans sa gloire.

Le rédempteur attendu viendra, et il gouvernera la terre par son église, voilà ce que nous disent Jonas et Zacharie. Maintenant tournons-nous vers les deux murailles où sont représentés ceux qui ne font que le prédire. Ceux-là se divisent en prophètes et en sibylles, et ce mélange n’a jamais été bien compris. Ce n’est pas seulement par un souvenir de la tendresse un peu bizarre que l’église du moyen âge eut pour les sibylles, — teste David cum sibylla, dit l’hymne du Dies iræ, — que Michel-Ange les fait alterner avec les prophètes. Ce n’est pas seulement non plus parce que Michel-Ange, comme Dante, n’a jamais séparé les deux traditions antique et chrétienne. Il était autrefois admis dans l’église que certains justes ont pu, sans le secours de la révélation, en pleines ténèbres païennes, par les seuls mérites de leur raison et de leurs vertus, s’élever à la lumière du christianisme. C’est à ce titre que Trajan et surtout Riphée figurent dans le paradis de Dante ; c’est à ce titre aussi que les sibylles figurent dans les fresques de Michel-Ange, mais elles ont encore d’autres droits à faire partie de cette assemblée. Faut-il enfin faire honneur de la présence des sibylles à cette parole de saint Paul, d’une impartialité si haute et qui fut si féconde : « le salut vient des Juifs, mais la lumière vient des gentils ? » Eh bien ! la pensée de Michel Ange va plus loin encore que la parole de saint Paul. Les prophètes appartiennent exclusivement au peuple d’Israël, tandis que les sibylles appartiennent à toutes les nations païennes ; les prophètes appartiennent au sexe masculin, les sibylles au sexe féminin ; par conséquent l’assemblée de Michel-Ange embrasse le genre humain et l’univers en entier, ce qui veut dire : ce n’était pas seulement un peuple, celui d’Israël, c’était le genre humain tout entier qui attendait le rédempteur, qui le pressentait et le cherchait. Notre foi n’a donc pas seulement son origine et sa source dans un peuple favorisé d’où elle serait sortie pour se répandre sur le monde et de ruisseau devenir fleuve ; non, sa tradition est celle de l’humanité, et les espérances qu’elle a réalisées étaient celles de toutes les nations de la terre, car toutes, descendant de l’Adam qui fut à l’origine l’enfant de Dieu, appelaient de leurs vœux obscurs celui qui, par sa grâce, devait les faire rentrer dans ce titre divin. C’est la pensée la plus catholique dans le sens étymologique de ce mot, universel, qui ait été, je crois, jamais exprimée.