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Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/977

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ORATEURS DE L’ANGLETERRE.

dans les sociétés d’Europe, que cette vieille terre si riche encore, que ces contrées couvertes d’une population docile qu’on calomnie en vain, et qui n’est dépourvue d’aucune des qualités de l’intelligence et de la volonté !

Non-seulement le gouvernement n’a jusqu’à présent rien fait pour ces peuples, mais, tout en les ruinant, il n’est pas même parvenu à couvrir ses frais, tant ses principes étaient faux et son organisation vicieuse. Son premier tort est d’être un gouvernement d’égoïsme et de privilège, d’exister pour ceux qui le composent et non pour ceux qu’il régit, de méconnaître ainsi la condition suprême d’un gouvernement civilisateur. Le second est d’être exempt de toute responsabilité ou de n’en avoir qu’une illusoire et insaisissable. Or rien ne remplace le sentiment de la responsabilité, ni les bonnes intentions, ni même le génie ; dans la responsabilité réside la seule sauvegarde contre les folies d’une activité sans frein et contre l’incurie ; savoir qu’on vit sans cesse sous l’œil des autres et qu’on aura des comptes à rendre est ce qu’il y a de plus propre à inspirer la pensée du bien et le courage de le faire, comme à réprimer les tentations dangereuses. En outre cet empire si vaste est sans proportion avec les facultés humaines ; ce pouvoir prodigieux est trop grand pour l’intelligence, pour la volonté, pour l’attention d’un seul homme ; quelle tête serait assez forte pour régir avec sagesse ces populations innombrables qui parlent vingt idiomes différens, et même pour comprendre leurs besoins ? Et quel gouverneur ou quel conseil ne se sentirait accablé d’avance en abordant une pareille tâche ? Il faut diviser cet empire, et M. Bright proposait de le répartir en provinces indépendantes les unes des autres et relevant du gouvernement de la métropole, d’établir, par exemple, cinq présidences avec leur armée, leurs finances, leur justice, leur administration propre, de manière à exciter le zèle de chaque gouverneur en lui donnant une tâche proportionnée à ses forces, à lui imposer une responsabilité réelle, à faire naître entre ces provinces une salutaire émulation. Enfin il faut combler l’abîme qui sépare le gouvernement des gouvernés en ouvrant à ceux-ci l’accès des fonctions publiques. Il est juste qu’ils participent au gouvernement qu’ils paient, et c’est le moyen à la fois de les initier aux principes de la politique occidentale et de se concilier leur affection ou du moins leur confiance, d’amener entre les conquérans et les sujets une entente nécessaire au bien de tout le monde. Pour réaliser ces principes, il faut avant tout que l’Inde soit considérée comme autre chose qu’une mine de richesses pour l’aristocratie et un moyen de caser ses favoris.

Ces réformes ne sont pas un nouveau système. M. Bright, en les proposant, ne se flattait pas d’inventer ; elles sont l’application des