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Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 88.djvu/559

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conseils et votre appui. Nous voulons avec l’aide de Dieu, le lendemain de la fête de saint Pierre, converser, délibérer et, autant qu’il sera possible, résoudre quelque chose sur ce qui concerne l’élection de notre évêque avec les prélats des diocèses voisins, les abbés et un certain nombre de gens pieux. Nous désirons donc que vous soyez présent à ce colloque ; nous vous prions de ne pas nous refuser votre concours, et nous sommes persuadés que vous viendrez nous l’offrir, afin que nous puissions, Dieu nous étant propice, conduire à bonne lin notre difficile entreprise. Adieu, faites ce que nous vous demandons. L’an MCI, indiction IX[1]. »


Geoffroy, abbé de la Trinité, monastère bénédictin de Vendôme, n’avait aucun droit de suffrage dans le diocèse d’Angers, Vendôme appartenant au diocèse de Chartres ; mais il était, comme Marbode, né dans l’Anjou d’une famille puissante. On le dit petit-fils de Robert-le-Bourguignon, seigneur de Craon. Sa fortune personnelle était si considérable, que, se trouvant à Rome en l’année 1093, il avait pu prêter au pape Urbain II la somme nécessaire pour recouvrer le palais de Latran et la tour Crescentia (qu’on appelle aujourd’hui le château Saint-Ange), occupés par les adhérens de son compétiteur Guibert. En reconnaissance d’un tel service, Urbain l’avait nommé cardinal, et l’on peut dire qu’aucun autre cardinal français n’avait un crédit égal au sien dans l’église romaine. C’était d’ailleurs le plus hautain des hommes, le plus entreprenant et le plus passionné. Nous possédons beaucoup de ses lettres. Il s’y est peint tout entier ; à l’occasion de la moindre affaire, il s’agite, il s’emporte. S’il rencontre quelqu’un trop lent à lui céder en toute chose, il le traite de rebelle, et, si celui qui résiste est un des premiers de l’église ou de l’état, il l’appelle tyran, le dénonce à Rome et le menace des foudres apostoliques. Les dignitaires de l’église d’Angers devaient instamment rechercher un tel auxiliaire. Il pouvait les servir autant par son activité que par son influence, car il avait des amis nombreux, et son humeur altière intimidait ses ennemis, aussi nombreux peut-être.

Geoffroy connaissait Rainaud et l’aurait, on peut le croire, appuyé, s’il n’avait pas été le candidat d’un si grand nombre de laïques ; mais personne n’était aussi zélé que cet abbé de grande maison pour l’honneur, pour les intérêts de l’église : depuis qu’il avait quitté le siècle, il ne s’était retourné vers lui que pour le maudire. Cependant les dignitaires de l’église d’Angers ne le décidèrent pas à venir siéger dans leur colloque ; il leur répondit :

  1. Une copie de cette curieuse lettre se trouve à la Bibliothèque impériale, dans la collection d’Etienne Housseau, t. IV, n° 1,200.