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midi et du nord ? Qui donc a saisi « l’occasion aux cheveux, » à la façon du roi Frédéric II, dont on publie de nouveau et fort opportunément les Mémoires ? La Prusse n’a pas même cette banale ressource de dire qu’elle ne croyait pas faire une chose désagréable à la France. On le sait maintenant, lorsque pour la première fois, en 1869, on avait parlé de cette candidature, notre ambassadeur à Berlin, M. Benedetti, s’en était expliqué avec le suppléant de M. de Bismarck, avec M. de Thile, de façon à ne laisser aucun doute, et M. de Thile déclarait à plusieurs reprises qu’il n’avait point été question, qu’il ne saurait être question du prince de Hohenzollern pour la couronne d’Espagne. La Prusse savait donc ce qu’elle faisait. Seulement, cela est visible aujourd’hui, puisqu’on ne pouvait agir ostensiblement, on espérait tourner la difficulté par la ruse, en paraissant se désintéresser, en réduisant la question aux simples proportions d’une affaire de famille, en mettant en avant le droit de souveraineté et l’indépendance de l’Espagne. C’était une tactique astucieuse qu’on ne pouvait déjouer qu’en marchant droit sur elle. Et quand l’incident éclate, lorsque la querelle entre dans ce qu’on pourrait appeler la période aiguë, comment procède-t-on ? Notre diplomatie s’adresse naturellement à Berlin ; mais là on lui répond lestement que la question n’existe pas pour le cabinet prussien, que le gouvernement n’a point à s’occuper d’une affaire privée. C’est toujours la même tactique d’abstention et de désintéressement apparent. Il faut bien alors se rendre à Ems, auprès du roi Guillaume lui-même. Le roi ne nie en aucune façon le consentement qu’il a donné à la candidature du prince de Hohenzollern ; mais dès qu’on lui demande de retirer cette autorisation, il refuse absolument, ou il élude, et même, lorsque la renonciation vient spontanément du prince de Hohenzollern, le souverain prussien refuse encore de sanctionner de son approbation cet acte de prudente retraite. Le roi entend n’être pour rien dans tout cela, il n’a point réclamé la renonciation du prince de Hohenzollern, il n’a rien à sanctionner, et c’est si bien le terrain sur lequel on voulait se maintenir, que, lorsque M. de Gramont, dans une intention évidemment conciliante, insinue à l’ambassadeur de Prusse, M. de Werther, que le prince Léopold avait renoncé à sa candidature sur la demande du roi, l’ambassadeur se hâte de rectifier et d’assurer que son souverain n’a rien demandé. M. de Werther lui-même rapporte le fait dans une dépêche où il rend compte de cette conversation, qu’il a été blâmé d’avoir acceptée.

C’est un point à préciser, c’est en réalité le nœud de l’incident diplomatique, car il est clair que, si l’acte de renonciation avait eu lieu effectivement par l’intervention du roi, c’eût été un acheminement vers la paix. M. de Gramont le déclarait sans hésitation à lord Lyons en l’autorisant à transmettre sa déclaration au gouvernement anglais. La vérité est que le roi Guillaume n’accordait rien, ne voulait rien accorder, entendant garder sa liberté pour en user selon les circonstances, comme il le di-