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Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 95.djvu/107

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DERNIER DISCOURS DU PATRIOTISME ATHÉNIEN.

magnifique témoignage de notre néant. » S’il célèbre avec émotion une princesse enlevée par un coup soudain dans l’éclat de la jeunesse, au milieu des grâces les plus séduisantes de l’esprit, c’est pour montrer le pouvoir et l’impuissance de la mort, qui dissipe en un instant tout cet assemblage brillant et gracieux dont se composait cette belle existence, mais respecte à jamais l’âme pieuse d’Henriette d’Angleterre. S’il prend la parole sur le corps de celui que tout un peuple a regardé pendant un demi-siècle comme le représentant de la grandeur divine sur la terre, c’est pour s’écrier tout d’abord : « Dieu seul est grand ! » Ainsi, quels que soient la situation de l’église auprès d’une royauté de droit divin et les rapports presque inévitables de l’évêque avec le courtisan, quelque élevée que soit la place du trône en face de l’autel, — la politique et la flatterie, les intérêts humains, ne dictent pas à l’orateur ses premières pensées : c’est d’abord le ministre de Dieu qui parle à des hommes de la mort dans le monument qu’ils ont élevé pour s’y préparer par la prière.

Hypéride, comme tous ceux qui l’ont précédé à la même place, en parle aussi : en pourrait-il être autrement auprès d’une tombe ? Cependant on est surpris que son éloquence, comme la leur, ne tire pas plus de parti de cette grande idée. Depuis longtemps, la philosophie, les mystères, surtout ceux d’Éleusis, auxquels tout Athènes se faisait initier, la poésie même, au moins sur la lyre de Pindare, avaient familiarisé les esprits avec la pensée de l’immortalité de l’âme. Comment se fait-il que ce sujet, si propre à inspirer les orateurs, semble leur être comme fermé ? N’est-ce pas à côté d’eux et pour eux, s’il est vrai que la plupart aient été les disciples de Platon, qu’ont été écrits le Phédon et le Gorgias ? Voici qui est plus surprenant encore. Platon lui-même fait une oraison funèbre où il est d’autant plus libre qu’il ne s’adresse qu’à des lecteurs : il n’y met pas les doctrines qu’ailleurs il s’est donné pour mission de répandre, elles ne s’y glissent même pas sous la forme dont la foi populaire les a revêtues depuis des siècles ; il n’y a pas un mot dans le Ménexène ni sur le séjour enchanté des âmes pures, ni sur la justice des divinités infernales. Parmi les auteurs d’éloges funèbres, c’est Démosthène qui fait l’allusion la plus explicite à ces croyances. « Comment, dit-il, ne croirait-on pas au bonheur de ceux qui, sans doute assis auprès des divinités des enfers, partagent dans les îles des bienheureux le séjour et les honneurs assignés aux hommes vertueux des âges antérieurs ? » Quant à Hypéride, il se contente, sur ce grand sujet, de quelques paroles graves et réservées. « Si après la mort on est comme si l’on n’était pas né, on se trouve à l’abri des maladies, des chagrins et de tous les accidens auxquels est exposée la vie humaine ; si au