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nouvelles et des déclarations menteuses. On arrêtait, on mettait au carcan ceux qui étaient assez hardis pour les contredire. Quand la vérité venait à se faire jour, quand on apprenait par exemple la perte de Chartres, le combat d’Yvetot, la mort du duc de Parme, l’irritation populaire n’en était que plus prononcée. Malheur à celui qui se laissait alors aller à la plaisanterie, qui montrait un visage enjoué ! il courait risque d’être emprisonné comme politique ou huguenot. Néanmoins la faction exaltée perdait graduellement de son autorité sur les masses, de la confiance qu’elle leur avait d’abord inspirée. La division commençait d’ailleurs à régner parmi les ultra-ligueurs ; on soupçonnait des défections ; il y avait des jalousies, et, comme il s’était formé en dehors de Paris un tiers-parti qui parlait de mettre sur le trône le cardinal de Vendôme, ce qui ne plaisait pas à l’Espagne, les seize se surveillaient les uns les autres. Cette division faisait l’affaire des modérés, de moins en moins éloignés de traiter avec Henri IV. Les mesures révolutionnaires ne s’adoucissaient pourtant pas ; les dénonciations suivaient leur cours. Plus les chances des politiques s’augmentaient, plus les seize redoublaient de vigilance et de rigueur. Ils avaient fait rendre une vraie loi des suspects ; entretenir des relations avec un parent ou un ami qu’on avait à l’armée royale, cela suffisait quelquefois pour être pendu. Des hommes sans mandat faisaient vendre les biens des absens, sans même prévenir le conseiller du domaine de la ville, de qui cela dépendait. Les meneurs du parti démagogique, ceux que l’on avait surnommés les piliers des seize, exerçaient leur tyrannie avec un cynisme insultant. Ils mêlaient la cruauté à la débauche ; la plupart étaient des viveurs, comme on dirait aujourd’hui, qui dépensaient en bonne chère l’argent que leur distribuaient l’ambassadeur d’Espagne et le légat. Bussi-Leclerc payait un habile cuisinier qu’il prêtait à ses compères. Les seize faisaient de temps en temps en commun des bombances, et le 1er août 1591 on les voit célébrer dans un banquet, dont l’écot était fort élevé pour le temps, l’assassinat d’Henri III, après la messe entendue, et boire à la mémoire du bienheureux Jacques Clément.

Cette faction s’éloignait de plus en plus de Mayenne ; elle voulait avoir son prétendant à elle. L’arrivée à Paris, en août 1591, du jeune duc de Guise, qui avait réussi à s’échapper de Tours, où il était retenu prisonnier, lui apporta ce qu’elle cherchait. Il s’était amassé dans le cœur de ce jeune prince, durant sa captivité, des haines et des rancunes qui servaient les vues des ligueurs extrêmes. Ceux-ci jugèrent le moment propice pour restaurer le conseil général de l’union, dont ils n’avaient cessé de demander le rétablissement. Sitôt après que l’armée de secours du duc de Parme eut relevé leurs espérances, ils avaient envoyé à Mayenne quelques-uns