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Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 95.djvu/174

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et leur audace. Paris s’était récemment rempli d’une foule de vagabonds, de soldats réfractaires, de déserteurs, de gens de la pire espèce, dont le bureau de la ville venait d’ordonner l’expulsion, mais qui tardaient à partir, et étaient tout prêts à donner les mains à quelque mauvais coup. Les politiques et les modérés comprenaient bien que c’était leur vie qui était menacée ; deux jours se passèrent dans de cruelles inquiétudes. La nuit du 14 au 15 novembre, une dernière réunion se tint chez le curé de Saint-Jacques ; le signal du meurtre y fut donné, et le matin avant le jour Bussi-Leclerc, Louchart et quelques affidés se portèrent au-devant du président Brisson, qui passait sur le pont Saint-Michel se rendant au palais. Ce magistrat, qui avait, avec le conseiller à la grand’chambre Larcher, le plus contribué à l’acquittement de Brigard, était tout naturellement désigné aux vengeances des seize. Depuis plusieurs jours, des amis ne cessaient de l’avertir qu’on en voulait à sa personne ; mais il se refusait à croire qu’on en vînt à de pareilles extrémités. Brisson fut appréhendé au corps et conduit au Petit-Châtelet, où il ne tarda pas à être rejoint par Larcher, qu’on avait également arrêté, et par le conseiller au Châtelet J. Tardif, qui s’était attiré les rancunes des seize par un écrit contre les princes lorrains et des propos malsonnans. Ce malheureux vieillard, qu’on avait déjà emprisonné une première fois, puis relâché, était alors malade ; il fut pris au lit par le curé de Saint-Côme, Hamilton, escorté de gens d’église et de l’université. Tout était prêt au Petit-Châtelet pour l’acte lamentable qui devait s’accomplir. On lut aux victimes leur sentence et on les livra au bourreau. Brisson implora ses assassins ; il consentait, disait-il, à être mis au pain et à l’eau, entre quatre murailles ; il demandait seulement le temps nécessaire pour achever un livre qu’il avait commencé. Les meurtriers ne se souciaient guère d’un nouveau traité de jurisprudence. L’infortuné Brisson fut pendu par ceux-là mêmes dont il avait autrefois approuvé la révolte. Comme depuis, les révolutionnaires montrèrent plus de colère et de ressentiment contre leurs anciens complices ralliés à la cause de l’ordre qu’envers ceux qui les avaient combattus dès le principe. Le menu peuple était resté muet devant ces attentats, qu’on lui présentait comme la juste punition d’une trahison avérée. Le bureau de la ville ne protesta pas et se borna à faire mettre les scellés sur les biens des victimes.

Ces meurtres ne devaient être que le prélude d’une suite de mesures sanglantes ayant pour objet de frapper de terreur politiques et modérés. Les plus zélés des seize proposèrent immédiatement d’instituer sous le nom de chambre ardente un véritable tribunal révolutionnaire dont la mission serait de connaître des crimes