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lequel la Vénus avait été groupée n’existait déjà plus, pour tirer parti de la déesse en la réduisant à une figure isolée ?

Sans accorder que le fragment de bras et la main trouvée avec la Vénus de Milo eussent appartenu originairement à cette statue, Émeric David inclinait à y voir des débris d’une restauration qui avait dû être conforme à la composition primitive ; mais cette statue, selon lui, n’avait jamais été celle de la déesse de Cythère. On n’y trouvait, disait-il, ni la grande jeunesse, ne dépassant guère le quatrième lustre, ni l’air de grande douceur qui caractérisent Vénus. Si elle avait tenu à la main un fruit, elle devait figurer la nymphe protectrice de l’île de Mélos, dont le nom paraît dérivé du mot qui en grec désigne toute pomme ou fruit de forme analogue, et sur les médailles de laquelle figure souvent un fruit assez semblable à une grenade. Ou bien, en faisant abstraction des fragmens, on pouvait supposer avec beaucoup d’apparence, disait-il, à cause de l’air d’animation et d’inspiration qu’il croyait remarquer dans les traits, que la statue représentait une muse tenant à la main gauche une lyre, et de la droite la faisant résonner. A quoi on peut opposer qu’on ne trouve guère de muses, si même on en trouve, figurées demi-nues et sans chaussure, comme l’est la statue de Milo.

D’autres ont cru que ce devait être une Victoire, et ont cité comme preuve une belle statue de bronze qui fait l’ornement du musée de Brescia. C’est une figure féminine ailée qui avance la main droite comme pour tracer une inscription sur un bouclier qu’elle tient de sa main gauche, appuyé sur le genou de ce même côté : elle représente indubitablement une Victoire ; d’autre part, elle offre avec la Vénus de Milo, pour toute l’attitude et pour la disposition du péplum qui enveloppe le bas du corps, une frappante ressemblance. Toutefois, si l’on examine de près la statue de Brescia, on s’apercevra que les ailes, implantées après coup dans les épaules au travers de la tunique qui les couvre, et d’ailleurs d’un mauvais travail, et le bouclier, fixé sur le genou au moyen d’une entaille pratiquée dans les plis du péplum, ne sont autre chose que des restaurations. Loin donc que ce fût originairement une Victoire dont on pourrait tirer argument pour appliquer à la statue de Milo la même dénomination, c’est plutôt une Vénus qu’à une époque quelconque, — probablement à celle de Vespasien, fondateur du temple dans les ruines duquel elle fut découverte, — on aura transformée en une Victoire.

Une remarque qui a été faite par Quatremère de Quincy coupe court aux diverses hypothèses qu’on a proposées pour restituer la statue de Milo en la considérant comme une figure isolée. De même que par derrière la draperie n’est que dégrossie, évidemment parce