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Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 95.djvu/215

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mais il montrait à ses élèves des passans et leur disait : Voici vos maîtres.

Or un trait de cette époque peut expliquer jusqu’à un certain point le caractère particulier de la Vénus de Milo. Mélanthe, condisciple d’Apelle, avait écrit un traité de la peinture ; il y disait qu’un ouvrage d’art devait toujours offrir l’aspect d’une certaine fierté et même d’une certaine dureté. On peut conjecturer que, sinon Praxitèle, son école du moins avait porté la recherche de la grâce, dont Apelle atteignait alors l’idéal, jusqu’à ce point où elle peut dégénérer en mollesse, que c’était pour détourner l’art de cet excès que Mélanthe l’invitait à plus de sévérité, et que ce fut sous l’influence de ce contemporain de Lysippe que l’auteur de la Vénus de Milo lui donna, au lieu de la délicatesse parfaitement féminine où résida le charme suprême des créations de Praxitèle et d’Apelle, ce caractère de grandeur héroïque qui, sans exclure la grâce, la domine pourtant, et auquel plusieurs critiques ont refusé de reconnaître Cypris. Ajoutons que la recherche de ce caractère a pu faire aussi que le statuaire préférât, pour la Vénus qu’il voulait associer à Mars, à des formes tout à fait juvéniles celles que prend l’organisme lorsqu’il a atteint son plus complet développement.

Ainsi comprise, la statue trouvée à Milo, dans le costume qui est celui de la nouvelle épouse au sortir du bain sacramentel, ne représentait pourtant pas cet unique moment qui marque l’épanouissement de l’adolescence. La Vénus de Milo est, ce semble, Vénus ayant déjà donné la naissance à l’Amour, et, dans cet appareil des premiers jours où elle fut unie à Mars, belle d’une beauté qui est devenue différente sans que son intégrité en ait souffert, telle qu’une fleur qui en se transformant et se développant est devenue fruit.

Avec les caractères qui lui sont propres, la Vénus de Milo en a un qui la distingue de toutes les images de cette divinité qu’ont produites les modernes, mais qu’elle partage avec un très grand nombre des Vénus que nous a laissées l’antiquité, particulièrement avec celles où Visconti a vu des reproductions de la Vénus de Gnide. Ce caractère est la dignité. Cicéron distingue, certainement d’après les Grecs, deux espèces de beauté, la féminine, qu’il appelle vénusté ou beauté propre à Vénus, — c’est celle où domine la grâce, — et la virile, consistant surtout dans la dignité. Il n’en est pas moins vrai que, comme les Grecs ne reconnaissaient guère de dignité sans quelque mélange de grâce, ils ne comprenaient pas davantage que la grâce parfaite fût entièrement sans dignité ; de là le caractère qu’ils imprimèrent en général à la déesse de l’amour, on pourrait