Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 95.djvu/258

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cette promesse se fit attendre plus de deux ans ; ce fut seulement vers le commencement de 1809 que je fus en effet nommé auditeur, et attaché, je ne sais pourquoi, à la section de la guerre. »

Pendant cinq ans, de 1809 à 1814, le duc de Broglie fut employé à diverses missions, souvent importantes et délicates, mais toujours en simple qualité d’auditeur et sans aucun avancement personnel dans sa carrière, ni aucun effort pour en obtenir aucun. Envoyé successivement comme intendant passager en Allemagne, en Espagne, dans les provinces illyriennes, en Pologne, attaché tour à tour à M. de Narbonne, au maréchal Marmont, au maréchal Bessières, à l’abbé de Pradt, tantôt pour l’administration des pays occupés ou conquis, tantôt pour les négociations diplomatiques, mis par là en relation non-seulement avec les grands serviteurs de l’empire, mais, avec les grands personnages de l’Europe, entre autres avec le prince de Metternich et les nobles chefs de la malheureuse Pologne, les princes Czartoryski et Poniatowski, il eut ainsi l’occasion de voir de près les plus grandes affaires, les plus grands événemens de son temps, et de les bien connaître sans jamais les diriger et en les jugeant avec une consciencieuse liberté. Je n’ai garde de le suivre dans cette période un peu confuse de sa vie, où, malgré une activité quelquefois difficile et périlleuse, il fut bien plus spectateur qu’acteur ; je n’en veux citer que quelques faits propres à caractériser le duc de Broglie lui-même, et à montrer comment, au service d’un pouvoir absolu, capricieux et chimérique dans sa grandeur, un jeune homme éminent, modeste et sévère se préparait à devenir le ministre judicieux et patient d’un gouvernement libre.

A son entrée au conseil d’état impérial en 1809, « nous prenions, dit-il, moi du moins je prenais peu d’intérêt au détail des affaires, très petites d’ailleurs, qui nous tombaient en partage ; mais j’en prenais beaucoup aux séances du conseil d’état lui-même. Ce conseil, si j’ai bonne mémoire, siégeait alors trois fois par semaine dans la galerie des Tuileries qui sépare le grand escalier de l’aile connue depuis sous le nom de pavillon de Marsan. Au fond de cette galerie, en face de l’escalier, sur une estrade élevée de deux marches, étaient placés trois bureaux, celui de l’empereur au milieu, à sa droite celui de l’archichancelier, et celui de l’architrésorier à sa gauche. Le long des fenêtres, qui donnaient d’un côté sur le Carrousel, de l’autre sur la chapelle, étaient placées de petites tables pour les conseillers d’état, à commencer par les présidens de section ; au bout et faisant face au bureau de l’empereur, d’autres petites tables pour les maîtres des requêtes. Enfin, derrière les tables des conseillers d’état, dans l’embrasure des fenêtres, étaient d’autres petites tables pour nous, humbles auditeurs.

« En général, sur les trois séances hebdomadaires, l’empereur en