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Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 95.djvu/311

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modérées, soit qu’ils siégeassent sur la lisière de la gauche ou de la droite. » Évidemment les libéraux et les doctrinaires n’avaient qu’à prendre possession du progrès libéral qu’on leur offrait et à soutenir décidément le ministère qui le leur offrait, pour le mettre en état d’accomplir son œuvre, et pour assurer au pays les fruits que cette œuvre ne pouvait manquer de porter. Au lieu de cela, libéraux et doctrinaires de concert entreprirent de substituer aux deux projets de loi qu’on leur proposait des projets nouveaux et très différens. Ils élevèrent contre les principales dispositions des projets que le roi avait solennellement annoncés dans son discours une multitude d’objections ; ils refusèrent de les discuter dans l’ordre que demandait le ministère. L’esprit critique étouffa l’esprit politique.

M. de Martignac soutint ses deux projets, leur ordre et leur système, avec autant de tact et de prudence que de fermeté et d’éloquence. « Sa prudence, dit le duc de Broglie, fut habile, ingénieuse et néanmoins sincère : il se ménagea réponse à tout sans tromper personne ; mais quand vint l’instant décisif, quand le 8 avril 1829, par son premier vote, la majorité de la chambre eut renversé l’une des principales bases des projets de loi, après deux épreuves douteuses dans lesquelles la droite resta immobile sur ses bancs, laissant le débat entre nous et le ministère, nous vîmes M. de Martignac et M. Portalis se lever et sortir, ayant chacun sous le bras son portefeuille, comme pour aller le déposer aux pieds du roi. La séance fit mine de continuer ; mais tous les esprits étaient ailleurs. Le dénoûment de cette pantomime tant soit peu théâtrale ne se fit pas attendre longtemps ; il ne s’était pas écoulé dix minutes, c’est-à-dire le temps strictement nécessaire pour toucher barre aux Tuileries et en revenir au grand trot, que déjà nos deux messagers de malheur étaient de retour. M. de Martignac monta solennellement à la tribune, tenant à demi déployée une grande feuille de papier ministre ; elle contenait une ordonnance du roi dont il fit lecture. « C’était, par un retrait formel, l’arrêt de mort des deux projets de loi. C’était par contre-coup l’arrêt de mort du ministère. Ce fut bientôt celui de son maître. »

Le 9 août 1829, le Moniteur annonça que le roi, acceptant la démission de tous ses ministres, avait formé un nouveau cabinet, et que le prince de Polignac était ministre des affaires étrangères.


GUIZOT.