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Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 95.djvu/413

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succès des opérations ultérieures. Le combat de Borny fit sans doute le plus grand honneur à nos soldats, au général Decaen, qui y fut grièvement blessé, aux généraux de Ladmirault et de Cissey, qui se portèrent à son secours avec beaucoup de vigueur et de présence d’esprit. On resta maître du champ de bataille, ce qui ne s’était pas encore vu depuis le commencement de la campagne, nos troupes ne perdirent aucune de leurs positions et bivouaquèrent sur les emplacemens qu’elles occupaient. C’est ce qu’on appelle en tout temps une victoire, victoire trop chèrement achetée néanmoins par la perte d’une journée de marche. Les Prussiens n’en jugèrent pas autrement. Quoiqu’ils se soient vantés fort mal à propos de nous avoir poursuivis jusque sur les glacis des ouvrages avancés de la place, ce n’est pas de ce résultat chimérique que leurs historiens militaires se félicitent. « L’avantage est resté aux Allemands, écrit un officier-général prussien, moins parce qu’ils sont demeurés maîtres le soir de la plus grande partie du champ de bataille que parce qu’ils ont retardé d’un jour la marche de l’armée française. Dans les conditions où elle s’est produite, ajoute le même écrivain, la journée du 14 était une faute de la part des Français. » En définitive, nous avions gagné la partie, mais notre succès même allait tourner contre nous.

Au lieu d’atteindre le plateau de Gravelotte dans la soirée du 14, l’armée ne l’atteignit que le lendemain. Là encore il fallut attendre l’arrivée du 3e et du 4e corps, nécessairement retardés par le combat de Borny. Le 15, le maréchal Bazaine, qui avait projeté de porter son quartier-général à Rezonville, sur la route de Metz à Verdun par Mars-la-Tour, en avant de Gravelotte, ne put dépasser ce dernier village. Le 16 au matin, sur la demande du maréchal Lebœuf, qui avait pris le commandement du 3e corps à la place du général Decaen, il arrêtait encore le mouvement général de l’armée pour donner le temps aux divisions demeurées en arrière d’arriver à la hauteur de la première colonne de marche. Nos troupes employaient ainsi plus de deux jours à parcourir la distance qui les séparait de Rezonville et de Doncourt, sur les deux routes de Verdun, où, en marchant de ce pas, elles ne seraient point arrivées avant une semaine. Que l’on compare à la lenteur de nos mouvemens la rapidité de la marche de l’ennemi, et l’on comprendra l’une des causes principales de nos désastres. Le 15 au matin, pendant que nous cheminions sans nous presser par des chemins excellens, les armées prussiennes, qui se trouvaient encore en grande partie sur la rive droite de la Moselle, qui avaient à jeter des ponts, à traverser d’étroits défilés, à gravir des pentes difficiles, regagnaient en moins de vingt-quatre heures l’avance de 30 ou 40 kilomètres que nous avions sur elles.