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Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 95.djvu/418

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beaucoup d’illusions, elle put s’apercevoir néanmoins que l’activité de son chef n’égalait ni le courage ni le sang-froid qu’il déployait sur le champ de bataille. Abandonnant les deux routes qui se séparent à Gravelotte pour se diriger sur Verdun, l’une par Mars-la-Tour, l’autre par Jarny et Conflans, le maréchal Bazaine s’était reporté plus au nord, sur la route de Briey, en s’étendant le 17 de Rozérieulles à Saint-Privat. Toute son ambition sembla se borner le lendemain à accepter la bataille dans les positions très fortes où les troupes avaient couché et s’étaient sur-le-champ fortifiées. En face de lui, se trouvaient non plus seulement, comme à Rezonville, trois corps d’armée allemands, mais huit corps entiers formant un effectif de 240,000 hommes. Quoique ces combattans, qui venaient en grande partie de Corny et de Pont-à-Mousson, fussent fatigués par des marches rapides, à travers des chemins difficiles, les Français devaient s’attendre, en présence d’un déploiement de forces si considérables, à un de ces mouvemens tournans qui sont la manœuvre favorite du prince Frédéric-Charles et de M. de Moltke. Le maréchal connaissait-il l’importance des renforts qu’avaient reçus les Allemands, soupçonnait-il ce qui le menaçait ? Tout fait supposer au contraire qu’il passa la journée dans la plus complète sécurité. En tout cas, il la passa loin du champ de bataille, à son quartier-général de Plappeville, comme si le succès eût été assuré ou l’engagement peu sérieux. Pendant que quatre corps de son armée soutenaient depuis midi sans faiblir un feu terrible d’artillerie, il ne franchit même pas les 6 kilomètres qui le séparaient de ses soldats. Étant monté une seule fois, à quatre heures du soir, au fort Saint-Quentin pour se rendre compte des positions de l’ennemi, et s’étant assuré que sa gauche, protégée par le fort, ne courait aucun danger, il rentra paisiblement chez lui, et attendit les nouvelles. À Rezonville, il avait porté toute son attention sur Gorze, vers les ravins par lesquels débouchaient les Prussiens, comme s’il se préoccupait uniquement d’être attaqué de ce côté et coupé de Metz ; cette fois encore il semble ne craindre une attaque que dans cette direction, et ne songer qu’à tenir ferme sur sa gauche. Il continue à prendre ses dispositions pour empêcher les Prussiens de le séparer de Metz, tandis que les Prussiens, l’attaquant du côté où il ne les attend pas, du côté opposé à leur point de départ, concentrent tous leurs efforts pour le rejeter dans Metz[1].

Au moment même où il croyait tout sauvé, parce que son aile gauche était garantie contre toute surprise, les Prussiens, profitant de leur nombre, de la mobilité de leurs colonnes et de l’ardeur de

  1. Le maréchal dit dans son rapport que le but de l’ennemi était de le couper de Metz. D’après tous les témoignages allemands, les Prussiens n’ont jamais songé au contraire qu’à l’enfermer dans Metz.