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Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 95.djvu/517

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promenade dont vous étiez. C’était un dimanche de Pâques fleuries. Je vous aidais par intervalles à porter le panier aux provisions. Vous passiez votre bâton au travers des deux anses de ce grand panier couvert ; je tenais un des bouts, Vous teniez l’autre. Le bâton cassa ; mais il n’arriva rien au panier. J’ai la tête perdue, je ne puis retrouver le nom de ce village ; sûrement il vous est présent à l’esprit. Allez m’y attendre dès ce jour. Vous me verrez arriver après-demain matin par une jolie route qui fait des zigzags et qui traverse certain hameau… Je n’ai plus de mémoire. Attendez, le hameau s’appelle Perly-Certhoud. Ce nom m’est revenu, mais pas l’autre. »

Sans laisser à sa plume le temps de sécher, elle écrivit la seconde lettre que voici :

« Monsieur, je pars pour Genève. Soyez sans inquiétude, je n’y parlerai de vous à personne, je n’y verrai personne autre qu’un homme qui m’a promis de me tuer et de se tuer ensuite. Quand vous lirez ces lignes, vous n’aurez plus de femme et plus d’ennemi, et, sans qu’il vous en ait rien coûté, le papier que vous savez sera détruit, réduit en cendres. Je vous en fais le serment ; croyez-moi une fois dans votre vie. »

Elle cacheta ces deux billets ; puis, ayant sonné sa femme de chambre, dont elle était sûre, elle lui confia les deux plis et lui enjoignit de faire partir le premier sur-le-champ et d’attendre jusqu’au lendemain soir pour remettre l’autre à Mme d’Ornis. Elle lui dit ensuite qu’elle s’en allait à Paris, qu’elle serait quelque temps absente, et lui fit faire sa malle, lui indiquant article par article ce qu’elle y devait serrer. Après cela, elle l’embrassa et lui glissa dans la main une boîte qui contenait un billet de mille francs, en la priant de ne l’ouvrir qu’après son départ. Il lui semblait ne pouvoir trop payer cette fidélité de la dernière heure.

Vers le milieu de la matinée, elle était en voiture sur la route de Blaizy-Bas. Son cocher pencha la tête pour lui demander où elle désirait qu’il arrêtât. — À Blaizy-Bas.

— Madame va donc à Paris ?

— Ne vous l’avais-je pas dit ? répondit-elle.

Quand elle fut arrivée, elle lui commanda de repartir dès que ses chevaux auraient mangé l’avoine. Pendant qu’ils dévoraient leur picotin, le museau enfoncé dans l’auge, il lui vint une idée singulière : elle les baisa tendrement l’un et l’autre sur une étoile blanche qu’ils portaient au front. Ces chevaux étaient à elle et ne lui avaient jamais causé le plus petit chagrin ; un tel miracle demandait sa récompense. Puis elle entra dans l’auberge de la station, s’y fit donner une chambre, et en attendant le train Paris-Lyon, elle défit sa malle, en retira le bonnet de tulle, le fichu