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Leukias, leur compatriote, s’est fait connaître en Europe par sa réfutation de la théorie de Fallmerayer, ce savant paradoxal qui a prétendu que les Grecs modernes n’avaient plus que du sang slave dans les veines. M. Scordelis a publié un lexique du dialecte de Stenimacho ; enfin M. George Pappadopoulos, qui a consacré aux antiquités d’Athènes un grand nombre de dissertations, est originaire de ce canton. Ainsi voilà une ville qui est grecque depuis une époque reculée, peut-être depuis le VIe siècle avant notre ère. Ni le temps ni les invasions les plus redoutables que l’Europe ait vues n’ont pu lui faire oublier sa nationalité. Elle a traversé des épreuves diverses ; la force du génie hellénique a eu le dessus. Maintenant, au milieu de la population presque barbare qui l’entoure, elle aime l’instruction et l’étude. Quelle sympathie ne mérite pas une race si vivace, si jeune, toujours enthousiaste de son passé et des choses de l’esprit !

On compte dans la province de Philippopolis 8,000 catholiques bulgares : 2,000 habitent le chef-lieu, les autres occupent sept villages, dont quatre sont situés au nord, au pied de l’Hémus, et trois à l’est. Les Grecs appellent ces catholiques pauliciens ou manichéens, et prétendent qu’ils sont les restes d’une secte formée par Paul l’Arménien ; cette opinion n’a aucun fondement. Au début du XVIIIe siècle, on ne trouvait à Philippopolis que 60 catholiques. Ceux qu’on y voit aujourd’hui paraissent être une colonie venue de Sofia vers 1795. Jusqu’en 1835, ils n’avaient que des prêtres de passage ; les ligoriens de Bohême s’établirent les premiers parmi eux, et furent remplacés par les capucins italiens. Depuis 1848, la propagande leur a donné un évêque ; ils ont une école, quatre sœurs de charité, dont deux françaises, et une jolie église à laquelle la France fait une subvention.

Un père capucin est le maître absolu de chaque village : il soumet les fidèles à une discipline tout ecclésiastique. Trois fois par jour tous les habitans viennent à l’église ; aucun d’eux ne se soustrait aux pratiques de la religion, qu’ils accomplissent à jour fixe et selon l’ordre du directeur. On se croirait transporté au milieu des missions du Paraguay. Ces Bulgares sont de très braves gens, mais ils ont la lenteur d’esprit propre à leur race. Cependant il est un genre d’industrie où ils excellent : on voit autour de leurs villages de vastes champs de rosiers ; ils fabriquent une essence célèbre dans tout l’Orient. Ces champs de roses remontent à une haute antiquité : au commencement de ce siècle, ils étaient la propriété de la sultane Validé. Aux temps romains, les roses de Thrace étaient célèbres ; elles tenaient une place importante dans le culte religieux, elles avaient donné leur nom à des cérémonies qu’on appelait les Rosalia, et qui, si on en croit les inscriptions, étaient fréquentes dans ces contrées.