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Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 95.djvu/58

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exceptions près, ni assez bien commandées, ni assez bien composées pour faire subir à l’ennemi des pertes comparables aux malheurs qu’elles attiraient sur les habitans. Tout Allemand devint un personnage sacré pour le vaincu. Tel officier s’est promené seul, à plusieurs lieues du campement de sa troupe, traversant les villages, distribuant aux passans les coups de cravache sur la tête, et le campement l’a vu revenir sain et sauf, satisfait et fier de sa promenade. Un jour, un chevalier d’industrie a recueilli, sous le costume allemand, de l’or et des billets de banque en faisant par les mairies une tournée de réquisitions personnelles. Ailleurs trois landwehriens, fatigués de la guerre, ne purent parvenir à se constituer prisonniers ; on crut qu’ils tendaient quelque piège, car les Allemands avaient l’habitude de frapper d’une amende les communes qui faisaient des prisonniers. Un cavalier ayant été capturé dans les rues de Guise, le comte de Lippe, général saxon, prit l’arrêté suivant : « attendu que les habitans de Guise ont capturé un soldat allemand, pour cette bêtise la ville paiera une amende de 10,000 francs ; » à ce compte, nos trois landwehriens représentaient une valeur de 30,000 francs ; ils furent reconduits en voiture hors du territoire de la commune. L’ennemi a donc produit l’effet qu’il attendait de ses rigueurs : la terreur régnait dans le pays, et il pouvait en toute tranquillité consacrer son attention et ses forces à des opérations qui devaient avoir quelque importance, car il se trouve dans l’Aisne deux places fortes : Soissons sur la route de Paris, La Fère sur la route du nord, et le voisinage de Lille, où s’organisait une armée française, donnait une valeur particulière à la possession des voies ferrées, des routes, de tous les moyens de communication du département.

Située sur la rivière de l’Aisne, commandant les routes de Maubeuge à Paris, de Reims à Compiègne, de Château-Thierry à Saint-Quentin, et la ligne ferrée de Reims à Paris et Mézières, Soissons ne pouvait être longtemps négligée par l’ennemi. Au moment du grand passage, il ne s’arrête pas à en faire le siège : le temps presse, et le vainqueur ne parle que de sa prochaine entrée triomphale à Paris ; tout au plus prend-il la peine de tendre la main pour recevoir la capitulation. On la lui refuse, et il passe son chemin ; mais il fallait mettre l’arrière-garde et les convois de l’armée allemande à l’abri d’une surprise de la garnison, qui, trop faible pour se heurter à un corps d’armée, pouvait inquiéter des détachemens isolés : aussi la cavalerie ennemie commence-t-elle le 16 septembre l’investissement de la place. La garnison comptait une compagnie d’artilleurs de ligne, 200 artilleurs de la mobile du Nord, un bataillon du 15e de ligne, deux bataillons de mobiles de l’Aisne, en tout 4,000 hommes ; mais les deux tiers de cet effectif se composaient d’hommes qui, deux mois auparavant, ne s’attendaient point à être appelés sous