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Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 95.djvu/585

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les tribunaux royaux, les barons et les évêques furent remplacés par « les maîtres ès-lois. » Il semble que ces tribunaux aient dû perdre alors beaucoup de leur ancienne liberté vis-à-vis du souverain : à des vassaux puissans et fiers succédaient d’humbles légistes dont tout le mérite était d’avoir pâli sur des livres. Ils ne siégeaient pas dans la cour du roi par droit de naissance comme les barons, ou en vertu de leur dignité comme les évêques ; ils n’y siégeaient que parce qu’ils y avaient été appelés et choisis par le roi. Aussi n’étaient-ils que ses agens, ses « officiers, » ses fondés de pouvoir ; on les appelait « les gens tenant pour le roi sa cour de parlement. » Leur premier devoir était, comme le disait la formule de leur serment, « de garder et maintenir les droits du roi. » Ils recevaient des « gages, » chose toute nouvelle, et leurs « cinq sols par journée » étaient le prix dont le roi payait leur travail et leur bonne volonté. Ils n’avaient pas d’ailleurs, dans ces premiers temps, une situation bien assurée ; le roi ne les nommait que pour une session ou tout au plus pour une année. Ils étaient donc toujours à la discrétion du prince ; leur fortune et leur existence étaient dans sa main. L’autorité judiciaire que ce parlement exerçait n’était pas à lui ; il ne l’avait qu’en dépôt, — encore le roi ne la lui confiait-il qu’avec de singulières précautions et pour un temps fort court. Aucune session ne s’ouvrait qu’en vertu d’une ordonnance spéciale ; le parlement semblait mourir chaque année et ne renaître que par la volonté expresse du prince. « Le parlement, disait plus tard Henri III, n’aurait pas puissance de juger, s’il ne nous plaisait envoyer nos lettres patentes chacun an. » Ces magistrats n’étaient rien par eux-mêmes ; ils n’étaient que les organes et comme la bouche du souverain. Lui absent, ils délibéraient en son nom ; présent, ils l’éclairaient ; mais leur opinion n’avait aucune valeur vis-à-vis de la sienne. Regardons le cérémonial de ce qu’on appelait les lits de justice, c’est-à-dire de toute séance à laquelle le roi assistait. Lorsqu’il avait pris place, le chancelier commençait par lui demander ses ordres ; si le roi voulait qu’une affaire fût mise en délibération, le chancelier recueillait les suffrages, mais « ce n’était pas, nous dit un vieux publiciste, pour juger au nombre des voix, ains seulement pour faire savoir au roi leur avis, s’il lui plaisait le suivre ou le rejeter[1]. » Le roi décidait donc seul sans avoir à compter les votes, et la formule de la sentence que prononçait le chancelier commençait par ces mots : le roi dit. On a dans les vieux registres du parlement des exemples d’arrêts qui ont été rendus par le roi en opposition avec la majorité de la cour ; on trouve aussi des arrêts

  1. Badin, de la République, livre II, chap, 1er.