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Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 95.djvu/599

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de ces personnages qui se voulaient démettre de leurs charges plutôt qu’enregistrer les édits qu’on leur avait envoyés, s’étonna, et, redoutant l’autorité du parlement, fit casser les édits en leur présence, et leur jura qu’il n’enverrait plus édit qui ne fût juste et raisonnable[1]. » Ainsi le plus hardi des rois de ce siècle n’osait pas se mettre en lutte ouverte contre la magistrature. Pour la même raison, Louis XII déclara hautement que les juges ne devaient pas tenir compte des ordres royaux qui ne seraient pas conformes au droit et aux lois. D’ailleurs le gouvernement sentait lui-même combien cette liberté du parlement pouvait lui épargner de fautes ou l’aider à réparer les fautes commises. En voici un exemple entre beaucoup d’autres : en 1425, Charles VII avait été entraîné par un de ses courtisans à signer un acte contraire à tous les intérêts et à toutes les traditions de la monarchie, par lequel il supprimait les libertés du clergé français vis-à-vis de la cour de Rome ; mieux éclairé l’année suivante, il annula cet acte en se fondant sur ce que le parlement ne l’avait pas enregistré[2].

Ainsi le droit d’accorder ou de refuser l’enregistrement était à peu près reconnu au corps judiciaire ; au moins le gouvernement n’osait-il pas contraindre les parlemens à enregistrer ses édits malgré eux. Or il était de tradition que, tant qu’une ordonnance royale n’était pas inscrite sur ces registres officiels, elle n’était pas promulguée ; on n’en tenait pas compte dans les jugemens, et elle était comme non avenue. Il est donc vrai de dire que le corps judiciaire avait une part de l’autorité législative ; s’il n’avait pas l’initiative et la préparation des lois, il avait du moins la promulgation, le contrôle, et jusqu’à un certain point le veto. Ces principes furent universellement admis au XVe siècle ; c’était presque un axiome du droit public au temps de Charles VIII que « les décisions du roi ne pouvaient être exécutées sans un arrêt du parlement. » Guillaume Budé, au siècle suivant, s’exprimait plus fortement encore : « c’est l’autorité du parlement qui donne la sanction aux lois du prince ; ces lois ne passent à la postérité qu’en vertu des arrêts du parlement. » Michel de Castelnau, qui fut ambassadeur de plusieurs rois et qui ne pouvait se tromper sur les principes généraux de la constitution de la France, disait : « Les édits ordinaires n’ont point de force, s’ils n’ont été reçus et vérifiés es parlemens, qui est une règle d’état par le moyen de laquelle le roi ne pourrait quand il voudrait faire des lois injustes. »

Ce principe s’appliquait à toutes les lois, quel qu’en fût l’objet.

  1. Bodin, de la République, livre III, chap. 4.
  2. Vallet de Viriville, Histoire de Charles VII, t. Ier, p. 440.