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Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 95.djvu/603

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une marche sûre et constante, elle le doit à sa magistrature plus qu’à ses rois. Que serait devenue la législation française, si le caprice ou l’intérêt du moment avait suffi pour y apporter à chaque règne des élémens contradictoires ? Que serait devenue l’autorité royale elle-même en présence des révolutions qui n’étaient guère moins fréquentes autrefois qu’elles ne le sont de nos jours, ou en présence de ces intrigues de cour qui étaient de bien autres orages qu’elles ne sont aujourd’hui, si la magistrature n’avait été là, toujours debout et toujours vigilante, pour marquer la tradition, pour écarter « les nouveautés dangereuses, » et pour rappeler tour à tour les rois et le peuple, l’église et les grands, au respect des institutions anciennes ? La France n’avait pas alors de constitution écrite ; on peut dire que c’était la magistrature qui lui tenait lieu de constitution. Elle n’en eut jamais de plus solide.

Le corps judiciaire fut en même temps le défenseur infatigable des intérêts des populations ; c’est lui qui empêcha maintes fois la royauté de faire banqueroute. Les rois furent souvent tentés de se débarrasser de la dette publique, et il ne manqua pas de gens pour leur rappeler que, suivant un vieux principe du moyen âge, un roi n’était pas responsable des dettes contractées par ses prédécesseurs. Si les droits des créanciers de l’état furent presque toujours respectés, si les rentes furent payées avec quelque régularité, c’est aux efforts incessans et aux réclamations réitérées du corps judiciaire qu’on en fut redevable. Une espèce de banqueroute, peut-être la pire de toutes, était l’altération des monnaies ; la magistrature s’opposa encore en ce point aux désirs des rois. Un jour, en 1565, le parlement de Paris apprend que le gouvernement vient de donner des ordres pour changer les monnaies et en diminuer la valeur ; aussitôt il mande à sa barre les directeurs des monnaies et leur défend d’obéir aux ordres du roi[1]. Une autre fois, en 1609, Henri IV ayant besoin d’argent fait un édit pour diminuer d’un cinquième la valeur de toutes les monnaies ; le parlement refuse d’enregistrer l’édit, et le roi le retire.

Le parlement résista autant qu’il put à l’augmentation des impôts. On avait admis jusqu’au XVe siècle qu’aucun nouvel impôt ne pouvait être établi que par le consentement formel de ceux qui le payaient ; ce principe ayant disparu en même temps que les états-généraux et provinciaux, il ne resta plus que la magistrature qui pût défendre la fortune des sujets contre les exigences toujours croissantes du fisc. Nous la voyons repousser en 1563 un impôt sur le papier, en 1572 un impôt sur les draps ; en 1596, elle rejette un autre impôt par cette raison, « qu’il n’a été inventé que dans

  1. Actes du parlement de Paris, p. XXXV de la préface.