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Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 95.djvu/618

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poursuivions au hasard d’une révolution, et qu’en tout cas je ne m’y trouvais point à ma place ?

« Le nouveau roi vint à mon aide et me tira de peine sans le savoir, et même, comme on va le voir, à mon propre insu.

« Il me prit à l’écart et me parla de sa position et de ses embarras. Sans me rien dire de son conseil intime, il parla de son conseil provisoire et de l’obligation d’en venir à un état définitif.

« — Le roi, lui dis-je en employant pour la première fois et sur-le-champ la locution à la troisième personne, le roi a trop d’expérience des hommes et des affaires pour se flatter d’installer, au lendemain d’une révolution, un ministère sérieux, solide et durable. Tout ce qu’on peut espérer du meilleur ministère possible, c’est qu’il tienne pour le moment la position, qu’il résiste avec sang-froid et fermeté aux coups de bélier de la réaction victorieuse, qu’il ne laisse trop entamer ni les données essentielles de la monarchie ni les conditions vitales du pouvoir, et qu’il ménage au bon sens public le temps de reprendre le haut du pavé. La révolution va survivre à la victoire ; l’état révolutionnaire durera plus que sa cause et son prétexte, j’entends par là cet état où tous les esprits sont aux champs, où tout le monde croit toutes choses possibles et tout de suite, où chacun a sa lubie, sa marotte, sa fantaisie à se passer et son inimitié à satisfaire. Tout ministère, quel qu’il soit, s’use vite dans cette mêlée et se compromet bientôt à l’ingrat métier de dire non. Je ne vois donc pas pourquoi le roi se presserait de jouer en règle au gouvernement parlementaire, de faire maison nette de ses serviteurs actuels, et d’ouvrir lui-même une crise ministérielle aux prétentions des prétendans. Dans mon humble opinion, ce que le roi a de mieux à faire, c’est de confirmer définitivement ses commissaires provisoires, sauf toutefois à vérifier jusqu’à quel point chacun d’eux est de force à tenir le poste et à répondre aux exigences du moment.

« Mon avis fut trouvé bon, et de fait il n’était pas trop doctrinaire. Le roi se prit alors à passer en quelque sorte la revue de ses commissaires provisoires.

« Il fut reconnu qu’à la tête de deux des principaux départemens, l’intérieur et les finances, se trouvaient placés deux hommes d’élite, M. Guizot et le baron Louis, bien informés en toutes choses, bien armés de griffes et de dents, incapables de se laisser entraîner par le flot du jour, effrayer par des menaces ou étourdir par des criailleries.

« En pouvait-on dire autant du général Gérard, préposé au département de la guerre ? Le général Gérard avait dans l’année une grande et juste réputation, c’était un patriote sincère ; mais il était homme d’ordre et de discipline, on ne devait pas craindre que, sous