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Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 95.djvu/624

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jours il se ravisa, et je me hâtai de faire signer au roi sa nomination… Il ne nous fit jamais l’honneur de venir siéger ; mais un matin, deux ou trois jours avant l’ajournement de la session, le roi me remit deux papiers qu’il venait de recevoir de lui : l’un était un plan de réforme du conseil d’état, qui l’érigeait en tribunal inamovible, avec publicité de ses séances ; l’autre une lettre particulière par laquelle l’auteur de ce plan informait le roi de la résolution où il était de transformer ce projet en proposition à la chambre des députés, en lui faisant savoir que lui, Benjamin Constant, tiendrait pour autorisation l’absence de réponse. Le roi en était, non sans raison, fort blessé. Je pris les deux papiers que j’ai conservés. En arrivant à la chambre des députés, je me bornai froidement à les placer sous les yeux de leur auteur sans lui demander d’explication et en le laissant juge du procédé ; puis, sans écouter les excuses qu’il essayait de balbutier, je lui tournai le dos et je m’éloignai. Je m’attendais à recevoir dans la matinée sa démission, il n’en fut rien ; mais mon parti était pris. Je n’eus pas le temps de pourvoir à son remplacement. »

L’université était un champ de bataille plus étendu et encore plus difficile à garder que le conseil d’état : il fallait à la fois y relever les études, fort déchues depuis 1822, et empêcher tantôt que l’esprit révolutionnaire n’y exerçât ses séductions, tantôt qu’il n’y portât ses méfiances et ses exigences oppressives. « Le plus attaqué par le parti du progrès, qui le croirait ? dit le duc de Broglie, c’était l’illustre M. Poisson, le premier géomètre de l’Europe et membre du conseil royal de l’instruction publique. J’étais chaque jour sommé de frapper sur lui, qui le croirait encore ? en qualité de jésuite. Les choses allèrent au point qu’un matin je vis entrer dans mon cabinet un savant non moins illustre, M. Arago (il était alors des nôtres), pour me supplier de sauver M. Poisson et de ne point céder à l’orage. Je ne pus me défendre d’un grand éclat de rire. — Pour qui me prenez-vous, lui dis-je, et pensez-vous que j’aie envie de passer à la postérité pour avoir sacrifié M. Poisson à titre d’adepte du père Bauny ou de saint Ignace de Loyola ? — M. Arago, rassuré, se prit lui-même à rire ; mais telle était au premier moment la panique dans le monde savant que je reçus presque en même temps une lettre de M. Cuvier, alors en Angleterre, par laquelle il me recommandait sa position dans le conseil de l’instruction publique, en entrant dans des explications à coup sûr bien inutiles. Je lui répondis par une lettre amicale où je lui disais que le seul usage que je me permettrais de mon autorité sur lui, c’était de le rappeler sur-le-champ parce que j’avais grand besoin de lui. »

Dans l’administration des cultes, il s’éleva une question plus grave en soi et plus épineuse au sein même du cabinet. « Durant