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Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 95.djvu/688

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nées dans les ménageries, et l’affection des animaux domestiques pour leurs maîtres. M. Darwin cite à ce propos un trait vraiment touchant de la part d’un petit singe américain. « Il y a quelques années, dit-il un gardien du jardin zoologique me montra une blessure profonde et à peine cicatrisée que lui avait faite un babouin féroce pendant qu’il était à genoux sur le plancher de la cage. Le petit singe, qui aimait beaucoup le gardien, vivait dans le même compartiment et avait une peur horrible du babouin ; néanmoins, lorsqu’il vit son ami en péril, il s’élança sur l’agresseur et le tourmenta si bien par ses cris et ses morsures, que l’homme put s’échapper, non sans avoir couru de grands risques pour sa vie. » Si dans d’autres cas les animaux supérieurs font preuve d’une indifférence complète à l’égard de leurs pareils, comme lorsqu’ils expulsent du troupeau un individu blessé, on pourrait dire que l’exception confirme la règle ; ce trait noir de l’histoire naturelle se retrouve d’ailleurs jusque dans les sociétés humaines, — que l’on songe aux Indiens de l’Amérique du Nord, qui laissent périr sur la plaine leurs camarades faibles, aux Fuegiens, qui enterrent vivans leurs parens âgés ou malades.

La satisfaction d’un instinct est un plaisir d’autant plus intense que l’instinct est plus fort. Quel ne doit pas être le degré de volupté intérieure nécessaire pour retenir l’oiseau, si mobile et si remuant, pendant de longs jours sur les œufs qu’il couve ! En obéissant à ses instincts sociaux, l’animal est donc heureux, tandis qu’il éprouve un malaise lorsque ces instincts sont contrariés, et l’on peut supposer qu’en général ils doivent être énergiques, car ils sont éminemment utiles à la conservation de l’espèce. C’est par la même raison qu’on peut croire que la plupart de ces instincts, tels qu’ils se manifestent sous nos yeux, ont été acquis ou du moins développés par la sélection naturelle, qui tend à modifier tous les êtres de manière à augmenter leur résistance vitale.

Voici maintenant, à en croire M. Darwin, comment les instincts sociaux deviennent la base de la conscience ou du sens moral lorsqu’ils sont aidés par la réflexion. Ces instincts sont en général plus durables, plus persistans que tous les autres. S’ils entrent en lutte avec quelque désir subit comme la faim, avec une passion comme la haine, ils peuvent être temporairement vaincus, terrassés par surprise ; mais la faim une fois assouvie, la rancune satisfaite, la sensation de plaisir qui accompagne la jouissance s’efface, et le souvenir de la défaite subie par les instincts sociaux se représente sous la forme d’un remords. Nous comparons nos actes passés aux exigences de l’instinct de sympathie toujours vivace, et nous prenons en horreur ces actes malgré le contentement passager qu’ils nous ont procuré. Le regret ou le remords causé par le souvenir d’actions contraires à la sympathie serait donc le germe des idées de morale. « Le verbe impérieux devoir, dit M. Darwin, semble impliquer tout simplement la conscience d’un instinct persistant, inné