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Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 95.djvu/694

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transmettent le plus souvent au même sexe, et ce sont celles-là surtout qui font l’objet de la sélection sexuelle. Par la répétition du triage auquel ces variations donnent lieu, elles s’exagèrent graduellement et se consolident peu à peu. Les modifications que la sélection sexuelle peut produire ainsi sont quelquefois si prononcées que les deux sexes ont été pris pour des espèces différentes, voire pour des genres diffèrens ; on dirait que, dans certains cas, elles dépassent le but, en ce sens qu’elles cessent d’être appropriées au genre de vie de l’animal. Un exemple curieux de cette exagération des appendices décoratifs nous est fourni par le faisan-argus, qui a des pennes rémiges de près de 1 mètre et qui mesure du bec à l’extrémité de la queue 1m,60, avec un corps qui n’est guère plus gros que celui d’une poule ordinaire. Le dessin de son plumage parsemé de ronds est d’une élégance extrême, et l’on peut supposer que cet admirable, mais fort gênant attirail a été acquis par le mâle peu à peu, en même temps que se développait le goût de la poule pour les effets de roue. La préférence des femelles pour les mâles d’apparence distinguée s’observe à tous les degrés de l’échelle, et devient souvent un attachement durable. Or, s’il est prouvé que dans les unions les mâles qui offrent certaines particularités sont constamment favorisés, on peut tenir pour certain que ces particularités s’accuseront de plus en plus par l’hérédité, comme dans la sélection inconsciente exercée par les éleveurs.

Si ces faits sont faciles à concevoir chez les animaux où les mâles sont très nombreux et naturellement sujets à un triage, il n’en est plus de même pour les animaux qui forment des couples ; mais là encore les femelles vigoureuses et précoces, qui laisseront la postérité la plus nombreuse, choisiront généralement les mâles les plus beaux et les plus fortement caractérisés. Si l’on s’étonne de rencontrer chez les femelles des animaux inférieurs le sentiment du beau ou le goût si développé, il faut nous rappeler, dit M. Darwin, que les cellules du cerveau dérivent partout d’un même cerveau prototype, ce qui explique que sous l’empire de conditions similaires elles peuvent accomplir des fonctions semblables.

L’application de ces principes à l’homme rencontre toutefois une difficulté sérieuse dans la grande distance qui nous sépare déjà de l’état de nature. On peut, il est vrai, en s’appuyant sur les analyses fournies par les animaux inférieurs, supposer que l’homme doit à la sélection sexuelle plusieurs des caractères secondaires qui le distinguent de la femme : par exemple, la force et le courage propres à son sexe. Les luttes ont fortifié sa charpente ; le besoin de plaire l’a doué d’une barbe. C’est ainsi qu’aux temps primitifs la sélection sexuelle a pu faire les races. De nos jours, on rencontre encore quelques faits qui viennent à l’appui de cette argumentation, mais ils sont rares. Les nègres Yolofs, qui sont des hommes de toute beauté, expliquent eux-mêmes, d’après M. Read, la