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Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 95.djvu/702

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partie de notre territoire occupée, c’est encore d’une cruelle évidence. Malheureusement nous n’en sommes pas là, les destins se sont accomplis contre nous. Or, cette situation étant donnée, que pouvait-on faire de mieux ? En quoi l’industrie française peut-elle souffrir de cette concurrence alsacienne, avec laquelle elle a vécu jusqu’ici sans se plaindre, sans même songer qu’il pût en être autrement, — de cette concurrence qu’on serait trop heureux d’accepter dans toute sa plénitude on retrouvant ces infortunées provinces cédées, violemment détachées du sein maternel ? Quel dommage sérieux peut causer une franchise de droits qui n’est d’ailleurs que trop temporaire, qui doit aller en diminuant pour s’éteindre tout à fait à la fin de 1872 ? L’intérêt particulier parle ici trop haut évidemment. Certes ce n’est pas M. Thiers qui peut être soupçonné de laisser l’industrie française désarmée de toute garantie, il est protectioniste et il s’en vante, selon son expression ; mais ce qu’il a vu, et c’est en cela qu’il s’est montré homme d’état et patriote, ce qu’il a vu avant tout et par-dessus tout, c’est l’intérêt supérieur de la délivrance du territoire devant lequel devaient s’incliner des intérêts subalternes qu’il a rudement appelés des « intérêts misérables. » Il ne suffit pas de dire qu’on aurait pu éviter une transaction commerciale plus profitable à l’Allemagne qu’à la France en payant dès aujourd’hui le quatrième demi-milliard. Oui, sans doute, à la rigueur, on aurait pu le payer, ce quatrième demi-milliard ; mais à quel prix ? Au prix d’une perturbation profonde dans les opérations de crédit et d’une crise monétaire qui aura bien assez d’occasions de se produire sans qu’on la précipite imprudemment, qu’on doit au contraire s’efforcer d’adoucir autant qu’on le pourra. Pense-t-on que, lorsqu’on vient de payer presque en quelques jours 1,500 millions, ce soit une chose si facile de trouver encore subitement 500 millions de plus à diriger sur l’Allemagne ? Rien n’est plus compliqué et plus délicat que toutes ces opérations, d’où dépend le crédit d’un pays qui a tant besoin du crédit, qui a tant besoin de mettre sa probité et sa richesse à l’abri de toutes les aventures.

Ce qu’il y a de vrai, c’est que peut-être à la faveur des concessions si naturelles faites à l’Alsace, la production allemande pouvait envahir notre marché, c’est qu’on n’avait peut-être pas assez nettement défini les conditions de réciprocité pour l’entrée des marchandises françaises, et le projet de convention que le gouvernement est autorisé à ratifier a été modifié dans ce sens. Le vote de l’assemblée stipulant ces modifications utiles ne peut certainement qu’être une force pour M. Thiers auprès du cabinet de Berlin. En cela même cependant il ne faut pas croire qu’il soit sans inconvénient de changer de sa propre autorité les termes d’une négociation diplomatique. On le voit par ce qui arrive depuis quelques jours : tout a semblé un instant être remis en question. Aux conditions réclamées à Versailles, M. de Bismarck de son côté oppose des conditions nouvelles. L’assemblée française a parlé ; le chancelier prussien, lui aussi,