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Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 95.djvu/717

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inévitables entre deux ministres obligés à la même résidence et accrédités auprès de deux souverains qui ne s’entendent pas. Enfin, ce qui importe davantage encore, les Italiens ne seront plus tentés de lui attribuer des arrière-pensées menaçantes, et, libres désormais de se livrer à leurs sympathies naturelles, ils ne prêteront plus l’oreille à tout ce qu’il plaît au comte Brassier de Saint-Simon de leur persuader par l’entremise des feuilles radicales qui sont à sa dévotion. Ce jour-là, les voies seront ouvertes à l’entente cordiale, il n’y aura de mécontens que la Prusse et le parti clérical ; mais M. Thiers ne se croit pas tenu d’être toujours agréable à la Prusse, et il n’est pas dans ses moyens de se concilier la faveur des cléricaux, pas plus que de reconquérir la bienveillance du marquis de Franclieu. Les cléricaux ont leur homme, qu’ils n’abandonneront jamais : c’est celui qui leur a promis de pratiquer dans la loi française toutes les retouches et l’es ratures qui leur conviendront, et de greffer le Syllabus sur le code civil.

Le malheur a bien des charges, monsieur ; il a aussi ses avantages, ses immunités et ses privilèges. Les défaites de la France lui ont rendu le service de la délivrer de beaucoup de choses et en particulier de tous les devoirs de fantaisie qu’il lui plaisait de s’imposer. Personne ne lui a prêté main-forte dans ses adversités et ses périls ; elle ne doit rien à personne, et il lui est permis en toute rencontre de ne prendre conseil que de son intérêt. Ses amis, qui l’aiment très fort, voudraient que dorénavant elle adoptât pour règle de sa conduite un égoïsme honnête et intelligent, — intelligent quoique honnête, honnête quoique intelligent, autant que faire se pourra. Puisse-t-elle ne pas ressembler à ces grands seigneurs à demi ruinés qui entendent conserver tout leur train de maison, tous leurs cliens et toutes leurs prétentions ! Qu’elle ressemble plutôt à tel négociant américain qui a fait de mauvaises affaires et qui, tout occupé de rétablir sa fortune, réforme sa maison, ses goûts, ses habitudes, et n’accorde pas un sou dans son budget à la vanité, car la vanité est l’ennemie mortelle de la politique. On a dit trop souvent à la France que son métier était de faire la guerre pour une idée ; on lui a dit aussi qu’elle était la fille aînée de l’église et le gendarme de Dieu. Qu’elle se défie en toutes choses du langage convenu, de la rhétorique et des vieux refrains ! M. de Bismarck demandait un jour à M. Jules Favre avec son insolence ordinaire si l’honneur de la France était autrement fait que celui des autres peuples. On pourrait demander avec plus de raison à certains Français si la France a un catholicisme à part, et si ce catholicisme particulier entraîne avec lui des obligations qui lui soient propres. Comme l’Europe tout entière, la France est vivement intéressée à l’indépendance spirituelle du saint-siège, et c’est d’accord avec l’Europe qu’elle doit s’occuper de faire garantir et respecter cette indépendance ; là se borne son devoir. Elle a eu pendant vingt ans un