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Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 95.djvu/79

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ce provisoire être éternel ; si l’on veut bien s’abstenir de tout contact avec les gens malveillans qui portent des armes sans faire partie des troupes alliées, dénoncer les francs-tireurs ou tout au moins se battre avec eux s’ils s’avisent de faire sauter un pont, d’enlever un rail, de couper un fil télégraphique, on sera garanti contre tout risque et péril d’emprisonnement, déportation et autres représailles prévues par les lois de la guerre, à moins qu’on n’ait un jour la velléité de réclamer contre une réquisition, de discuter une amende, de contester la répartition des impôts directs et indirects, c’est-à-dire de défendre sa bourse après avoir livré son honneur, ce qui serait en vérité une prétention exorbitante.

Il fallait pourtant trouver dans son cœur des trésors de patience ou la conviction profonde de l’inutilité de toute résistance pour supporter l’administration financière des Prussiens. Nous avons lu les registres de délibérations de plusieurs conseils municipaux ; cette simple histoire, racontée au jour le jour, donne une idée exacte de l’insoutenable existence que les vainqueurs imposèrent aux vaincus dès qu’il fut question d’armistice et qu’ils sentirent que la proie allait leur échapper. Les impôts des derniers mois de 1870 sont exigés avec tant de menaces, si précises, et en maints endroits si bien exécutées, que les communes se libèrent en toute hâte. L’armistice signé, elles se croient à l’abri de toute réclamation nouvelle ; elles ne savaient pas que la province avait été, pour ainsi dire, abandonnée aux exactions prussiennes, et que les négociateurs de cet acte avaient dépensé toute leur peine à obtenir de M. de Bismarck que la garde nationale de Paris ne fût point désarmée. Elles apprennent donc qu’il y a encore des contributions de 1871, et que l’ennemi les a portées au double sans daigner dire la raison ; elles reçoivent l’ordre de payer le premier douzième. A peine a-t-on réuni par des emprunts forcés les fonds nécessaires, que l’ordre arrive de tenir prête aussi la contribution de février. Cependant tous les journaux du monde publient la magnanime défense faite par le roi Guillaume à tous ses agens de lever à l’avenir aucune contribution de guerre. Grande joie dans tous les départemens, mais de courte durée, car M. le préfet, commentant la parole impériale, annonce qu’à la vérité il renonce à frapper des contributions, mais qu’il continue à faire rentrer les impôts ; il ajoute même que les retards seront « productifs » d’une amende de 5 pour 100 par jour. Ces intérêts tudesques courent si vite qu’ils rattrapent le capital : une commune des environs de Laon paie une amende de 1,700 francs pour retard dans le paiement d’une somme de 2,000 francs. Enfin la paix est signée ; la nouvelle en arrive le 4 mars dans la matinée ; elle est authentique, officielle, affichée dans les deux langues. Pour le coup,