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Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 95.djvu/790

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Lorsque les hommes de goût s’avisèrent que le type courant et vulgaire de la littérature classique était faux, que le temps de l’empire nous avait légué un grand siècle qui n’était pas le vrai, d’où vinrent les premiers avertissemens ? Ce n’est pas des écoles, c’est du monde, d’un monde très borné et très restreint, que nous pouvons retrouver dans la correspondance de Joubert. C’est là qu’on s’envoyait pour cadeau une lettre inédite de Boileau, une traduction de Pétrarque faite sous Louis XIII et offerte à Montausier. On relisait Pascal, Mme de La Fayette ; on renouvelait le culte de Bossuet, on tirait de leur poussière les portraits des femmes célèbres qui avaient vu le grand roi. Là est le berceau de cette école d’admiration qui est parvenue à tout son éclat avec M. Cousin. Lorsque des hommes jeunes entreprirent de renouveler entièrement notre école de poésie, d’histoire, de philosophie, où prirent donc naissance ces tentatives qui nous paraissent aujourd’hui si simples, et qui étaient alors si hardies ? La société polie fut le premier point d’appui ; les journaux et les cénacles vinrent après, et quand les novateurs étaient assez nombreux déjà pour se diviser. La critique elle-même, si indépendante de sa nature, trouva longtemps un asile dans les compagnies les plus distinguées de la capitale, dans les maisons les plus favorisées de la fortune et de la naissance. Elle chercha des protectrices et grossit longtemps leur cour avant de se mettre à en médire, et encore ne prit-elle pas ses sûretés de nos jours en se ménageant, sous un air d’isolement philosophique, et jusqu’à la fin, des protectrices nouvelles dans un autre monde ? Il y eut un moment, sous le gouvernement constitutionnel, où le journalisme, reniant les traditions de deux siècles, se mit à déclamer contre la société où se pratique le bon ton ; certaines phrases dédaigneuses sur « les succès, les talens, les plaisirs de salon, » sont restées en usage. Cependant ces attaques mêmes attestaient la puissance des classes élevées et cultivées, si elles ne prouvaient pas quelquefois dans ceux qui les lançaient une sorte d’humilité orgueilleuse, si elles ne trahissaient pas une existence, des liens, qui les brouillaient avec ces classes. Le sans-façon d’une partie de ceux qui vivaient de l’intelligence annonçait peut-être déjà la bohème littéraire que nous avons vue, et qui s’accorde si bien avec l’abdication de Paris.

La société polie n’a donc jamais renoncé à son empire sur nous tous et sur les étrangers. Sans prétendre enseigner l’Europe comme elle l’a fait autrefois, son ascendant a continué de faire aimer l’esprit français. Ce n’est pas tout ; elle a gagné un avantage que nos devanciers n’avaient pas : elle a trouvé dans ses murs le gouvernement du pays, que Paris révolutionnaire a chassé depuis, en attendant qu’il la repousse elle-même, comme il a essayé de le faire.