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Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 95.djvu/810

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aux États-Unis. A Boston et à New-York, comme à Paris et à Lyon, il y a des partis violens et peu scrupuleux sur les moyens de parvenir ; mais, tandis qu’en France la possession du pouvoir met la nation tout entière entre les mains de ceux qui l’emportent aux élections, le vainqueur chez les Américains ne peut guère abuser de la victoire. Les hommes changent, les institutions restent ; le parti qui triomphe n’en demeure pas moins l’humble serviteur de la constitution.

On voit que tout le système politique des Américains repose sur ce principe, qu’il y a une loi supérieure qui assujettit le législateur. Cette loi, dirigée contre l’omnipotence des assemblées, c’est la constitution. Supposons maintenant que la constitution ne réponde plus aux idées et aux vœux du peuple, qui donc aura droit d’y toucher ? Ce ne peut pas être le législateur ordinaire. Comment réformerait-il la constitution de laquelle il tient son autorité ? La réformer, c’est en sortir, et, s’il en sort, il n’est plus rien. Peut-on du moins suivre l’exemple de l’Angleterre et attribuer le droit de réforme à l’ensemble des pouvoirs publics ? Non, car aux États-Unis la souveraineté ne repose nullement entre les mains des députés, des sénateurs et du président. Tous ne sont que des fonctionnaires chargés d’un mandat limité. Seul le peuple est souverain ; seul il peut corriger ou changer la constitution.

C’est ce qu’il fait au moyen d’une procédure réglée d’avance par la loi politique. Sous le nom de convention, on élit une assemblée qui a pour objet unique de réformer la constitution ou de faire une constitution nouvelle. Cette convention n’a de commun que le titre avec l’assemblée de sinistre mémoire qui gouverna la France en 1793. Ce n’est pas une chambre révolutionnaire, omnipotente, despotique ; c’est un pouvoir régulier, légal, limité. Qu’en des temps paisibles un peuple décide comment et de quelle façon il réformera son gouvernement le jour où il n’en sera plus satisfait, c’est une idée qui doit nous sembler étrange ; elle ne prouve que trop combien la souveraineté du peuple en Amérique ressemble peu à ce qu’en France on appelle de ce beau nom. Chez nous, le peuple agit en souverain quand une émeute victorieuse brise un gouvernement, foule aux pieds les institutions et donne pleine carrière à la passion et à la violence, tandis qu’aux États-Unis le peuple fait acte de souveraineté quand il manifeste régulièrement sa volonté suivant des formes légales et pour assurer d’autant mieux le bien général. Il n’est pas de pays plus libre que l’Amérique, mais on y connaît trop les conditions de la liberté pour croire à la sagesse des masses et à l’infaillibilité de la foule : aussi se fait-on gloire d’y vivre sous l’empire et la contrainte de la loi.

La procédure conventionnelle traverse quatre phases successives.