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Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 95.djvu/812

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constitution. Ce principe, méconnu par les premières assemblées révolutionnaires, a été proclamé dès 1787 dans la célèbre convention fédérale qui rédigea la constitution des États-Unis. « Nous n’avons le droit de rien conclure, mais nous avons la liberté de tout proposer, disait Wilson, représentant de Pensylvanie. — Notre affaire, ajoutait Edmond Randolph, c’est de recommander et non pas d’établir un système de gouvernement. » En 1829, dans la convention de Virginie, John Randolph s’exprimait non moins nettement. « Nous sommes ici des avocats que consulte le peuple, des médecins politiques chargés de proposer un remède pour les maladies dont souffre l’état ; nous n’avons pas le droit de voter un acte qu’engage la nation. Nous sommes les humbles conseillers du peuple[1]. » Inutile de multiplier les citations ; ce point de droit constitutionnel ne souffre plus de discussion aujourd’hui.

Ce n’est pas que l’idée française qui personnifie la nation dans ses représentans et leur donne l’absolu de la souveraineté n’ait jamais paru en Amérique ; mais elle y a toujours été repoussée par les amis de la liberté. En 1847, dans la convention de l’Illinois, un membre, M. Peters, déclara que les pouvoirs de l’assemblée étaient illimités. « Nous sommes la souveraineté de l’état, ajouta-t-il ; nous sommes ce que serait le peuple d’Illinois, s’il était ici rassemblé en masse. Nous pouvons dire ce que disait Louis XIV : l’état, c’est nous. Nous pouvons fouler aux pieds la constitution comme un chiffon de papier ; personne ne peut nous demander de compte, hormis le peuple. » Quinze ans plus tard, dans une nouvelle convention de l’Illinois, le général Singleton disait : « Que cette convention du peuple soit souveraine, qu’elle possède le pouvoir souverain, c’est là une de ces propositions qui sont la vérité même. Si l’état est souverain, la convention est souveraine. Si cette convention ne représente pas le pouvoir du peuple, qui donc le représente ? Si le pouvoir souverain ne réside pas dans cette assemblée, il n’y a pas de souveraineté. » Malgré ces assertions tranchantes, jamais la théorie française n’est parvenue à se faire adopter par les républicains d’Amérique, encore bien qu’elle ait trouvé des partisans dans quelques états. Ce qui lui a porté le dernier coup, c’est que le sud s’en est servi lorsque, pour maintenir l’esclavage, il a rompu avec le reste des États-Unis. C’est à des conventions omnipotentes qu’on a soumis l’ordonnance de sécession afin de n’avoir pas à consulter la nation. A Charleston comme à Paris, on a invoqué cette prétendue identité du peuple et de ses représentans pour annuler le véritable souverain, et faire une révolution au profit de quelques ambitieux. Qu’on lise le discours prononcé en 1861 à la convention d’Alabama

  1. Jameson, p. 294.