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qui fut lue jusque au IXe siècle, et dont la langue se perdit peu à peu et disparut avec les Goths, on a du IXe siècle, en dialecte saxon, une paraphrase fameuse des Évangiles en vers allitérans, intitulée Heliand ou le « Sauveur. » Dans le même siècle, un disciple de Rhaban Maur, Otfried de Wissembourg, mit en vers dans le dialecte haut-allemand l’Harmonie des Évangiles, que l’auteur a fait précéder de cet hymne à la louange des Francs dont j’ai cité quelques parties. Au Xe siècle, l’abbaye de Saint-Gall a toute une école de traducteurs infatigables, à la tête desquels est l’abbé Notker Labeo, Ce sont surtout les Psaumes et quelques morceaux lyriques de l’ancien et du Nouveau-Testament que ces studieux bénédictins s’évertuent à faire passer en langue vulgaire. Au XIe siècle, Williram, abbé d’Eresberg en Bavière, composa une paraphrase en prose du Cantique des cantiques. Aux XIIe et XIIIe siècles, on cite encore des traductions interlinéaires des Psaumes, une version du Cantique, de la Genèse, d’une partie de l’Exode, et la Chronique du monde de Rudolf de Hohenems, vraie Bible versifiée. Puis le zèle des translateurs se refroidit ; aussi bien l’abaissement intellectuel, moral et politique de l’Allemagne est profond au XIVe siècle. À quelle époque les Allemands possédèrent-ils une traduction complète de la Bible ? On ne saurait le dire exactement ; mais, dès le commencement et surtout au milieu du XVe siècle, on a pu lire en ce pays toute la Bible en langue vulgaire. Jusqu’en 1522, les bibliographes ne comptent pas moins de quatorze éditions de ce livre en haut-allemand et trois en bas-allemand, publiées à Mayence, à Strasbourg, à Augsbourg, à Nuremberg, à Cologne, à Lubeck et à Halberstadt. Je n’ai pas besoin d’ajouter que toutes ces versions découlent uniquement du texte latin de la Vulgate, souvent grossièrement travesti, et qu’elles ont pour caractère commun une littéralité excessive. Ce qu’il importe de ne pas oublier, c’est que, en dépit de ces nombreuses éditions, la Bible était loin d’être populaire.

Les protestans, et aussi certains catholiques[1], ont parfois exagéré l’importance des défenses ecclésiastiques relatives à la lecture de la Bible par les laïques au moyen âge. L’église n’avait guère besoin d’interdire la lecture d’un livre à des gens qui ne savaient pas lire. Ce n’est que très tard, dans la seconde moitié du XIIe siècle, à l’époque. où commence la réaction contre le catholicisme, que (l’église se déclara contre ce genre de lecture. Les deux lettres du pape Innocent III qui ont trait aux fidèles de la ville et du diocèse de Metz (1199), les mesures que crurent devoir prendre les abbés que le pape avait chargés de l’examen de cette affaire, les actes du

  1. Voyez le très solide traité d’Antoine Arnauld : de la Lecture de l’Écriture sainte. Œuvres, VIII. (Paris 1777, in-4o.)