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DERNIER DISCOURS DU PATRIOTISME ATHÉNIEN.

ode[1]. Cette assimilation est rigoureusement exacte, elle indique nettement à la critique dans quel sens elle devrait diriger son appréciation.

Quelle était la difficulté de la tâche pour celui qui, comme Hypéride, venait recommencer ce panégyrique d’Athènes si souvent répété depuis cent cinquante ans ? À en croire Platon, elle n’était nullement décourageante. Rien de plus simple que de faire et même d’improviser une oraison funèbre, soutient Socrate au début du Ménexène ; le sujet, n’étant pas nouveau, ne demande pas de frais d’imagination, et il n’y a pas grand mérite à louer avec succès les Athéniens devant les Athéniens. Ce qui serait difficile, ce serait de faire goûter aux Péloponésiens l’éloge des Athéniens, ou aux Athéniens celui des Péloponésiens. Les auditeurs accueillent admirablement tout le bien qu’on leur dit d’eux-mêmes, et ils en jouissent avec une béatitude qui diminue de moitié la peine du panégyriste. Quand Socrate entend une oraison funèbre, il se croit, dit-il, transporté dans les îles des bienheureux, il éprouve un inexprimable ravissement, il se sent grandir aux yeux des étrangers qui écoutent en même temps que lui, et c’est à peine si, au bout de trois ou quatre jours, les fumées de la vanité se dissipent avec cette douce musique dont ses oreilles restaient remplies. En réalité, Platon ne prouve pas beaucoup, et il le sait parfaitement lui-même : autrement il ne s’essaierait pas à son tour dans ce même genre de composition, et il faut bien, quelque ironie qu’il y ait dans sa pensée, qu’il porte dans son essai une préoccupation littéraire. Il ne s’agit pas, dans une oraison funèbre, d’inventer ni de convaincre. La matière, précisément parce qu’elle est trouvée depuis longtemps, est difficile à traiter de nouveau, et les auditeurs, parce qu’ils sont habitués à s’entendre louer magnifiquement, sont malaisés à satisfaire.

Ici du reste se montre un trait du caractère grec. Il n’y a guère de peuple, assurément, qui ne soit doué d’une certaine patience pour écouter son propre éloge ; mais, si l’on songe que, durant un siècle et demi, les Athéniens se réunirent régulièrement dans le même lieu pour entendre le même panégyrique développé pendant plusieurs générations en un même système de phrases cadencées, on avouera que leur tempérament différait quelque peu du nôtre. Serait-ce que notre vanité est moindre, ou moins naïve, ou plus délicate ? Sur ce dernier point surtout, ne nous pressons pas de conclure à notre avantage, et bornons-nous prudemment à dire que notre délicatesse est d’un autre genre. La délicatesse des Athéniens tenait

  1. C’est l’opinion des Grecs eux-mêmes. Isocrate dit que les discours destinés aux fêtes ont plus de rapport avec les compositions rhythmiques et musicales qu’avec les plaidoyers, et qu’on n’a pas moins de plaisir à les entendre que les poèmes.