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Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 95.djvu/932

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eux-mêmes d’une manière complète. « Leurs disciples et leurs auditeurs en ont écrit un passage, puis un autre, et c’est ainsi qu’a été formé et conservé ce qui s’en trouve dans la Bible. » Ainsi non-seulement Jérémie, mais Hosée, Isaïe et le Kohéeth auraient reçu leur dernière forme d’une main étrangère. « Qu’importe » répondait un jour Luther à Forster, que le Pentateuque n’ait pas été écrit par Moïse lui-même ? » Luther n’accordait à l’inspiration aucune influence sur la forme des livres saints. De là des vues d’une admirable largeur, des remarques d’une justesse étonnante, dont la critique du XVIIIe et du XIXe siècle a pu profiter. Qu’est-ce, par exemple, que le livre de Job pour Luther ? L’œuvre d’un grand poète, quel que soit d’ailleurs son nom, qui a décrit, comme il les avait éprouvées, les plus cruelles épreuves de l’homme sur la terre. Luther compare ce poète au chantre d’Énée. Quant au patriarche ; il a pu penser ce qui est écrit dans son livre, mais il n’a pas prononcé ces discours. « Ce n’est pas ainsi qu’on parle quand on est éprouvé. Le fait est réel au fond, mais c’est comme le sujet d’un drame dialogué, dans le genre des comédies de Térence, pour glorifier la résignation. » les Proverbes de Salomon ont été recueillis par d’autres qui les écrivaient quand le roi, à table ou autrement, venait à formuler ses maximes. On y a joint les enseignemens de différens autres sages docteurs. L’Ecclésiaste et le Cantique ne sont pas non plus des livres faits d’une pièce ; il n’y a pas d’ordre dans ces livres, tout y est pêle-mêle, ce qui s’explique par la nature de leur origine. Luther trouvait qu’il manque bien des choses à l’Ecclésiaste ; « il n’a ni bottes ni éperons, et chevauche en simples chausses, comme je faisais moi-même quand j’étais au couvent » » Salomon n’en est pas proprement l’auteur. Quant au troisième livre d’Esdras, « je le jette dans l’Elbe, » disait Luther. L’histoire de Jonas lui semblait tellement incroyable que, si elle n’eût été dans la Bible, il avoue qu’il en aurait ri comme d’une folle imagination de poète.

Après Jonas et Habakuk, Zacharias et Isaïe. La peste étant survenue à Wittenberg en 1527, la traduction de ces deux prophètes ne parut que l’année suivante, après le retour de Mélanchthon, qui revit la version d’Isaïe. Vette traduction des prophètes fut pour Luther un véritable enfantement. « Je sue sang et eau pour donner les prophètes en langue vulgaire. Bon Dieu, quel travail ! Comme ces écrivains juifs ont de la peine à parler allemand ! Ils ne veulent pas abandonner leur hébreu pour notre langue barbare. C’est comme si Philomèle, pendant sa gracieuse mélodie, était obligée de chanter toujours avec le coucou une même note monotone. » Traduire, c’est pour Luther recréer dans la langue qu’on parle l’œuvre d’un auteur étranger. Il veut qu’on ne se tienne ni trop près ni trop éloigné du texte. Plus il avança dans son travail, et plus il s’efforça de