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Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 95.djvu/942

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M. de Bismarck lui-même. Il faut aller aujourd’hui à Berlin pour racheter nos départemens gardés en gage par l’étranger ! M. Pouyer-Quertier, avec sa robuste nature, n’est point sans avoir trouvé un certain succès personnel assez bizarre en Allemagne ; on l’a presque acclamé sur son passage, on l’a pris pour un général ; le cabinet prussien n’a pu voir en lui que le représentant d’un gouvernement qui a l’orgueil de mettre de la ponctualité à remplir ses obligations, même les plus cruelles, et en fin de compte M. le ministre des finances a pu mener à bout cette négociation, qui, depuis plus d’un mois, traîne entre Versailles et Berlin ou Varzin. Si le traité n’est point signé encore, il le sera demain ; mais à quel prix M. Pouyer-Quertier a-t-il réussi à enlever cette convention, dont la conséquence est la libération anticipée de six de nos départemens ? Cela est bien clair, une fois de plus il a dû acheter l’avantage qu’il réclamait. M. de Bismarck et l’empereur Guillaume lui-même témoignent, dit-on, la plus vive admiration pour M. Thiers : ils font peut-être pour lui ce qu’ils ne feraient pas pour d’autres ; malheureusement ce ne sont pas des politiques à laisser tomber leur proie pour mieux exprimer leur admiration. Quelques efforts qu’on ait faits, on ne semble pas avoir pu obtenir le droit de réciprocité pour l’entrée des marchandises françaises en Alsace. En revanche, la durée de la période de franchise pour l’entrée des produits alsaciens en France semble devoir être abrégée. Enfin le système des traites garanties par les banquiers et négociables paraît être abandonné pour le paiement du quatrième demi-milliard, qui se ferait par des versemens échelonnés. Évidemment, il n’y a point à se faire illusion, ce qui a été admis pour les relations commerciales provisoires de l’Alsace et de la France n’est pas tout à fait ce qu’avait décidé l’assemblée, et le gouvernement a dû prendre la responsabilité de dépasser quelque peu la limite qui lui avait été fixée. Pouvait-il sérieusement reculer devant cette responsabilité ? Nous ne parlons pas seulement des 20 millions de frais d’occupation que gagnera le trésor français par la retraite immédiate d’un nouveau contingent de l’armée allemande ; il y a une raison bien autrement grave, bien autrement décisive, c’est l’état même de ces six départemens, qui sont pleins d’anxiété depuis qu’ils ont vu poindre le jour d’une délivrance prochaine, qui frémissent sous la domination étrangère, c’est cette suite de collisions qui depuis quelque temps éclatent entre Allemands et Français à Dijon, dans d’autres villes encore, et qui en se renouvelant pourraient conduire aux plus dangereuses complications. Voilà ce qu’il faut éviter, fût-ce au prix de quelques intérêts de commerce.

Il est possible qu’on se plaigne un peu dans l’assemblée, M. Thiers n’aura qu’à appeler à son secours ces populations de la Bourgogne, de la Franche-Comté ou de l’Aisne qui auront retrouvé leur liberté ; ce sera sa meilleure défense, et au demeurant quelle diplomatie serait possible, s’il y avait un pouvoir assez faible, assez craintif pour ne point oser