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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 97.djvu/105

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paganisme romain, lie ensemble les hommes et la divinité jalouse, et tout ce que signifie dans l’antiquité le terme quasi légal de religion. Si l’impiété des hommes leur a fait négliger l’accomplissement de ce qu’ils devaient aux dieux, de quel -droit se plaignent-ils en voyant se retirer d’eux la faveur céleste ? Il faut se mettre en règle avec le ciel et s’y tenir, sans vouloir frauder : voilà, ce que proclame le croyant. Il faut faire trêve aux crimes et aux vices qui offensent les immortels : voilà ce qu’ajoute l’honnête homme. C’est le langage de Tacite ; le cercle où s’enferment ses opinions religieuses est étroitement circonscrit ; comment l’entière intelligence d’un culte barbare y trouverait-elle place ?

Un second motif d’obscurité dans les témoignages de Tacite concernant les divinités germaniques, c’est que perpétuellement il prétend les identifier avec ses propres dieux, que seuls il conçoit. On le voit entraîné de la sorte aux analogies les plus factices, et il devient pour nous très difficile de reconnaître sous ces transformations arbitraires quelques traits de réalité historique. Ce n’est pas une raison pour désespérer d’en retrouver aucun. Il est possible au contraire, en invoquant des informations de diverse nature et de divers âges que l’induction fécondera, de distinguer à la fois deux choses, à savoir quel système religieux, en partie connu d’ailleurs, Tacite rencontrait devant lui, et en second lieu à quels traits de ce système répondaient-ses assimilations.

Le principal dieu germanique, suivant l’historien romain, celui auquel les Germains ont voué un culte suprême, c’est Mercure. « Ils lui doivent à certains jours, dit-il, des victimes humaines. Ils adorent aussi Hercule et Mars, mais ils les apaisent par des offrandes moins barbares. » Telle serait une sorte de trinité germanique. Qui croira cependant que les Germains du premier siècle, après l’ère chrétienne, mis en rapport avec Rome et l’empire seulement par la guerre, aient accepté si tôt et avec tant d’abnégation les dieux du monde classique ? Il est évident que ces dénominations grecques et romaines désignent des divinités étrangères que Tacite n’a fait que soupçonner. Comme il l’a dit lui-même en nommant dans un de ses chapitres Castor et Pollux, il ne s’agit sous sa plume que d’interprétations à la romaine ; c’est à nous, si nous le pouvons, de découvrir à quelles réalités ces interprétations se rapportent.

Rien de plus facile, ce semble, pour ce qui regarde le prétendu Mercure. Les chroniqueurs du moyen âge qui nous entretiennent des peuples du nord ou de la Germanie nous instruisent suffisamment à ce sujet. Jonas, moine du couvent italien de Bobbio vers le milieu du VIIe siècle, raconte dans sa Vie de Columban que le saint, voyageant un jour parmi les « Suèves, » c’est-à-dire les habitans de la Souabe, trouva le peuple d’une de leurs tribus réuni autour d’une