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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 97.djvu/12

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pour elle, et qu’y a-t-il de plus beau que la vie quand on la considère du haut de ses dix-sept ans ?

— Je t’assure, disait une femme dont les formes se dessinaient élégamment au coin du feu, je t’assure que le blanc est de meilleur goût.

— Comme vous voudrez, maman, mais je l’avais rêvée rose. Quand je me voyais au bal, et combien de fois m’y suis-je vue !… il me suffisait pour cela de fermer les yeux, et j’y étais tout de suite…

— Bah ! on rêve donc au couvent ? demanda une voix d’homme amicalement railleuse.

Elle éclata de rire. — Si l’on rêve ?… eh ! que voulez-vous donc qu’on y fasse ?

— Peut-on vous demander sur quels sujets ambitieux s’exerce de préférence votre imagination ?

— Vous vous en doutez bien, monsieur de Chavagnes, sur le monde. On se rappelle avoir vu sa mère si belle et si triomphante se rendre à une fête un soir que l’on rentrait tristement en prison, et l’on se dit : Moi, j’aimerai le spectacle, et avec le spectacle la danse ; mais à la danse même je préférerai, je crois, les voyages. Ah ! voir l’Italie ! entendre le Barbier ! tout lire d’abord, tout lire !… J’ai peur d’être vieille avant d’avoir embrassé seulement la moitié de ce que je désire !

— Se douterait-on qu’elle ait été élevée chez les bénédictines ? gronda une basse réjouie, sortant d’un fauteuil.

— Ai-je dit quelque chose qui puisse fâcher mon père ?

— Toi, mignonne ? tu me ravis au contraire. Je saurai du moins ce qui te tente ; ne suis-je pas là pour te le donner ?

— Gomme vous la gâtez tous ! fit observer Mme de Saulge. Son sourire ne témoignait nulle intention de réagir contre cette tendance générale.

— Et, reprit celui que Louise avait appelé M. de Chavagnes, vous nous avez bien confié vraiment tous les souhaits pour l’accomplissement desquels vous craignez que votre vie ne puisse suffire ? Il n’y en a pas d’autres ?

— Pour le présent, c’est tout ; quant à l’avenir !… J’aime tant les enfans ! s’écria Louise avec un charmant aplomb d’innocence ; mais le choix de mon mari ne sera pas facile…

Elle alla s’asseoir sur le lointain canapé où tout le temps de cette conversation un personnage muet était resté assis à l’écart.

— Si ce mari veut me plaire tout à fait, il faudra qu’il ressemble à Henri !

Elle appliqua sur le front du jeune homme un baiser fraternel