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aux Français, qui, de son avis, y réussissent mieux. Selon lui, l’intérêt des stations de la côte occidentale d’Afrique se résume en une dépense annuelle de 3,300 livres sterling que paient sans compensation les contribuables de la Grande-Bretagne. La traite disparaît, parce qu’elle n’a plus de débouchés. Les nègres sont rebelles à la civilisation anglaise, et probablement aussi ce sont de mauvais consommateurs. Il n’y a qu’un parti à prendre : s’éloigner d’un littoral où l’esprit d’aventure et d’entreprise n’a rien à faire.

Aux Indes occidentales, la situation est plus favorable. Ce fut là que s’établirent les premiers Européens qui traversèrent l’Atlantique ; ce sont des îles fertiles, avec un climat chaud, mais non point insalubre. Ce sont les îles à sucre, et l’on peut comprendre que ce sont des possessions enviables rien que par le désir que les Américains du Nord semblent avoir de les posséder. L’Angleterre s’est attribué les plus gros lots dans les Antilles à la suite de nos désastres maritimes du premier empire. Les nombreuses colonies qui lui appartiennent maintenant dans l’Amérique centrale se groupent en six gouvernemens généraux, la Jamaïque et ses annexes, les îles du Vent, dont la principale est Antîgua, les îles sous le Vent, les Bahamas, la Trinité, la Guyane britannique, en tout 1,800,000 habitans, dont les sept huitièmes sont des nègres ou des métis. L’histoire politique de la Jamaïque en ces dernières années fera voir quel est l’état social de la plus belle des Antilles ; les autres sont en proie aux mêmes difficultés : la lutte entre les blancs et les nègres affranchis.

La constitution que Charles II avait accordée aux habitans de la Jamaïque au XVIIe siècle comportait un gouvernement libre avec des assemblées délibérantes élues par la population ; mais ce n’était au fond qu’une oligarchie dans laquelle les planteurs avaient toute liberté d’opprimer leurs esclaves, sans compter que le parlement impérial s’attribuait, en vertu d’un prétendu principe supérieur, le droit de taxer et régler le commerce à sa guise. En l’absence des grands propriétaires fonciers, qui séjournaient de préférence en Angleterre, l’autorité locale fut dévolue à des régisseurs et des contremaîtres dont le joug devint bientôt insupportable. Plus d’une fois les noirs se révoltèrent ; les esclaves marrons réfugiés dans les montagnes tinrent tête aux troupes régulières, et chacune de ces insurrections se terminait par le fouet, le feu et le gibet. L’état moral de la population noire était des plus fâcheux lorsque, après la révolte des marrons en 1798, les philanthropes de la Grande-Bretagne entamèrent avec un redoublement d’énergie leur grande campagne en faveur de l’abolition de l’esclavage. Ils prirent pour auxiliaires à la Jamaïque les missionnaires de la secte des baptistes, en qui les planteurs virent depuis lors des ennemis de