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parlementaire ne leur réussissait pas, et se résignèrent à ne plus avoir qu’un conseil consultatif de douze membres, dont six sont des fonctionnaires nommés par la couronne et les six autres seulement sont élus par la population. Ce mouvement rétrograde est-il un indice que la liberté politique ne convient pas aux Antilles ? Il faut se garder d’une conclusion anticipée avant d’avoir examiné les faits. Est-ce bien une colonie que cette île de la Jamaïque, où quelques blancs avec leurs préjugés et leur orgueil sont en face de nègres trente fois plus nombreux, ignorans, superstitieux et pourvus cependant des mêmes droits politiques ? Supposer que deux peuples dont les mœurs et les aptitudes sont si opposées vivront en bonne intelligence est contraire à l’expérience de tous les temps. Même l’élément mulâtre, qui devrait être un lien entre eux, sert plutôt à les diviser. Aussi haï par le nègre que méprisé par le blanc, le mulâtre, mécontent de sa situation sociale, se mêle volontiers à une insurrection dont il espère être le chef et le moteur. De peur que l’on n’applique le même raisonnement à toutes les contrées où l’élément nègre est en majorité, hâtons-nous d’ajouter que le caractère hautain de l’Anglais paraît être le plus grave obstacle à ce qu’une telle situation s’améliore. Transplanté sur une terre déserte ou à peu près, comme l’Australie, il y prospère. Rencontre-t-il quelques indigènes, comme dans la Nouvelle-Zélande ou l’Amérique du Nord, il les chasse ou leur fait une guerre d’extermination ; mais aux Indes occidentales, en présence d’une population noire exubérante, il préfère s’éloigner. On assure que le nombre des blancs diminue d’année en année. La Jamaïque deviendra quelque jour un royaume nègre à l’instar de Haïti, à moins qu’elle ne tombe aux mains des Américains du Nord, dont l’activité dévorante et la politique brutale triomphent dans les états du sud de difficultés analogues.

La province de Honduras, située sur le continent américain sous la même latitude que la Jamaïque et comprise dans le même gouvernement-général, prouve jusqu’à l’évidence que c’est bien la population nègre et non le climat qui empêche les Anglais de réussir. Le Honduras, couvert de belles forêts d’acajou, ne fut d’abord qu’une exploitation forestière ; puis les bûcherons s’aperçurent que le sol est fertile et produit à peu de frais le coton, la canne à sucre et le tabac. Ce pays est en voie de devenir une colonie agricole. Les Européens se plaignent que la main-d’œuvre fait défaut, bon signe dans un établissement qui comptait déjà 25,000 habitans en 1861, date du dernier recensement ; mais le sentiment de la vie politique est encore endormi chez eux. Une assemblée législative de neuf membres, dont cinq sont membres de l’administration, un budget annuel qui ne s’élève pas à plus de 40 francs par tête, une garnison anglaise de quelques centaines d’hommes, dont