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respirent l’activité joyeuse d’un spéculateur dont les actions montent et dont l’imagination travaille : « Mes actions gagnent 1,000 livres aujourd’hui. Je cherche de tous côtés à acheter, et, avant que la journée soit passée, je finirai 1 million d’une terre que vous connaisse ? » Que de prières au ciel en ce moment-là pour la santé de Law, qui venait de tomber malade ! « Bonne nouvelle, le temps se rafraîchit ; cela est de conséquence pour la santé de M. Lasa. On était bien inquiet dans ces chaleurs ; mais il serait bien a souhaiter pour son rétablissement qu’on eût un peu de pluie… On ne voit que des gens qui ont fait des fortunes immenses. » La chance a-t-elle favorisé jusqu’au bout cet homme d’esprit ? Nous l’ignorons, mais, à défaut d’aveux positifs accusant un désastre, il y a çà et là des échappées de mélancolie qui nous semblent de mauvais augure ; Caumartin est devenu bien philosophe pour demeurer longtemps un financier heureux ; — « Je vous souhaite, ma chère sœur, santé, gaîté et argent. J’avoue que ce dernier souhait paraît être aujourd’hui un peu dans les espaces imaginaires. Ce métal est devenu comme les esprits, tout le monde en parle et personne n’en voit. Bienheureux qui sait ce qu’il a, et qui peut compter dessus. Pour nous, c’est ce que nous ignorons. Nous sommes plantés sur le haut d’une pique à regarder de quel côté vient le vent ; mais nous n’y sentons que la bise la plus dure. » Voilà le style des jours de baisse. Lors même que cette correspondance touche à des faits déjà connus, elle en rafraîchit l’impression par la vivacité des sentimens qu’elle révèle dans les contemporains directement intéressés et mis en cause. « Que j’envie le sort aujourd’hui de ceux qui ont des terres ! s’écrie une victime de l’agio, car, pour nous, pauvres malheureux, nous ne savons en vérité de quel bois nous ferons flèche, malgré nos richesses imaginaires. Nous nous regardons comme suspendus en l’air à un fil qui peut aisément rompre. » C’est ainsi que les généralités de l’histoire revêtent sous nos yeux une forme précise et vivante, elles prennent un corps et une âme, ce sont non plus des abstractions, mais des choses et des personnes. Le marquis de La Cour, étant à Paris en 1719, eut besoin « d’un habit de pinchina ; » il ne put trouver de tailleur, les maîtres et les apprentis refusèrent de travailler, parce qu’ils avaient fait ou se croyaient sur le point de faire fortune. « Ces jours-ci, on a dû envoyer chez eux des gardes pour les forcer de travailler aux vêtemens du roi. » Être obligé d’employer la garde et de réquisitionner des ouvriers pour habiller Louis XV, quel curieux effet des spéculations populaires de la rue Quincampoix !

La marquise goûtait beaucoup, et nous le croyons sans peine, la douceur de ces relations ; il lui manquait quelque chose, disait-elle, quand au jour marqué la lettre de Caumartin, « pleine de petits