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tort, il faut bien le dire aussi, c’est d’être tracée d’une écriture trop menue sur un papier trop grand. Cela produit l’effet d’un mobilier d’entre-sol transporté dans l’appartement du premier étage. Je n’ai jamais si bien compris qu’une accumulation de jolies petites choses puisse encombrer sans remplir, que l’esprit et l’œil puissent être occupés par une suite de sensations agréables sans être satisfaits pour cela. Le point de départ de l’auteur est bien moins l’étude d’un caractère que la mise en scène d’une situation ; encore cette situation, laborieusement amenée par trois actes et demi de préparatifs, n’aboutit-elle qu’à une seule et unique scène très dramatique, il est vrai, mais bien longtemps attendue.

Voici en deux mots quel est le sujet de cette comédie. Le comte Robert de Noja, le plus aimable et le plus séduisant des hommes, eut autrefois des relations coupables avec la femme du banquier Maubray, le plus glacial, le plus inflexible, le plus désagréable, le plus ténébreux des banquiers. Grâce à l’honnête influence d’un ami nommé Briac, le comte a compris que ces amours ne pouvaient durer indéfiniment, et, prenant un courageux parti, il s’est expatrié au Pérou, où il a bientôt acquis une immense fortune et le titre de ministre plénipotentiaire. Or, après seize ou dix-sept ans de diplomatie, le comte, fort jeune encore, revient à Paris, où il apprend que la femme qu’il aima si follement est morte en mettant au jour une fille appelée Christiane, qui est maintenant une ravissante personne, toute pleine de grâces et de vertus. Cette nouvelle agit sur le diplomate d’une façon électrique pour ainsi dire. Ma fille ! mon enfant ! s’écrie-t-il immédiatement dans un élan passionné, qui n’est pas sans causer aux gens moins exaltés une certaine inquiétude, car enfin c’est aller, ce me semble, un peu vite en besogne, et, si nécessaire que soit à la pièce cette paternité du comte Robert, il faut encore que celui-ci nous produise ses titres, s’il veut que son émotion nous gagne.

Quoi qu’il en soit, à partir de ce moment, la vie de M. de Noja n’est plus qu’un continuel frémissement ; une idée constante le poursuit : se rapprocher de Christiane, la voir, s’en faire aimer… Il y parvient sans peine, gagne bientôt sa confiance, et apprend que la chère petite aime en secret un gentilhomme du nom de Kerhuon, tout à fait digne de sa tendresse. Le désir de marier ces deux enfans si bien faits l’un pour l’autre s’empare du comte de Noja. Malheureusement l’autre père de Christiane, le vilain, le légal, le banquier Maubray, s’est mis en tête, pour des raisons qui ne sont pas assez clairement expliquées, de donner la main de sa charmante fille à un certain Achille de Beaubriand, fils d’un ministre, il est vrai, mais impudent, ridicule, vicieux, personnage assez banal que nous avons vu bien souvent, ce me semble, au théâtre sous la qualification de petit crevé.

Christiane épousera-t-elle celui qu’elle aime ou deviendra-t-elle la