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symptôme d’une situation qui recèle de grands dangers pour l’avenir. Ces dangers menacent non pas seulement la Belgique, mais tous les pays catholiques. Ils résultent surtout de deux causes : premièrement de l’esprit tout différent qui anime d’une part les villes, de l’autre les campagnes, — secondement du but que poursuit le clergé catholique.

En tout temps et partout, la façon de penser, de sentir et d’agir des habitans de la campagne a été très différente de celle des habitans de la ville. Le campagnard vit isolé ; son esprit ne s’aiguise point, ses sentimens ne s’enflamment point au contact de ses semblables. Il est rebelle aux idées nouvelles, il les redoute et s’en défie. Le succès de l’industrie qu’il exerce, l’abondance de ses récoltes, dépendent d’influences qu’il ne peut diriger, et par suite il est, comme l’homme primitif, disposé à demander la réalisation de ses vœux à l’intervention des prêtres et à la puissance mystérieuse des sacrifices. Quand la terre est ensemencée, il n’a plus qu’à attendre les effets du soleil et de la pluie, dont il ne dispose pas ; il est ainsi incliné à une sorte de fatalisme. Les procédés de culture ne varient guère ; de là l’esprit de routine et de conservation. Les conditions du travail qu’il accomplit font donc que le paysan est conservateur, superstitieux et soumis au clergé. Dans l’empire romain, les paysans sont restés païens, pagani, le nom l’indique, quand déjà les villes étaient gagnées au christianisme.

Dans les villes au contraire, les idées nouvelles pénètrent rapidement. La discussion, l’échange des pensées, la fermentation intellectuelle qui est naturelle aux hommes assemblés, prédisposent les esprits au changement et au progrès, quand une doctrine saine y exerce son empire. Chaque matin, Athènes demandait : Qu’y a-t-il de nouveau ? Voilà le type de l’esprit qui règne dans les cités. En outre, dans l’industrie manufacturière, le succès ne dépend plus de la faveur des élémens, il dépend de l’habileté de l’homme et de l’application de ses connaissances. On attachera par conséquent plus de prix aux découvertes de la science qui rendent le travail productif qu’aux incantations du prêtre destinées à rendre les élémens propices. Les villes sont donc portées aux nouveautés, peu soumises à l’action du clergé, et par suite, quand ces deux tendances sont poussées à l’excès, révolutionnaires.

Sous la monarchie absolue, l’opposition entre la ville et la campagne ne crée nulle difficulté, car toutes deux sont pliées sous le joug commun ; mais, quand les pouvoirs émanent de l’élection, il peut sortir de cet antagonisme deux partis si hostiles que des agitations incessantes et même la guerre civile en résultent. C’est une des sérieuses difficultés de la démocratie représentative. Les