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On s’étonne qu’avec l’instrument d’erreur qu’il porte en lui-même, à savoir une imagination excessive, M. Michelet ne se trompe pas plus souvent, et même qu’il saisisse quelquefois avec une merveilleuse justesse la vérité historique. Son histoire de la révolution, fatigante par la forme apocalyptique qu’il adopte systématiquement, n’en est pas moins remplie de vues justes et saisissantes. Nul n’a mieux que lui, par exemple, démêlé un des faits essentiels, peut-être le fait capital de la révolution, à savoir le paysan propriétaire, ou tout au moins le paysan affranchi : c’est ce qu’il appelle « le mariage de la terre et de l’homme. » Nul n’a mis plus en relief un des sentimens les plus vifs et les plus profonds de l’ancienne société française, sentiment encore tout chaud en 89 : l’amour du roi. « J’entends ce mot sorti des entrailles de l’ancienne France, mot tendre, d’accent profond : mon roi ! » C’est ce sentiment même qui explique la défiance et la haine qui ont succédé ensuite. « Avoir cru, avoir aimé, avoir été trompé dans son amour, c’est à ne plus croire à rien ! » Ce que M. Michelet a surtout saisi admirablement, c’est le caractère de spontanéité et d’unanimité qu’a eu la révolution à son début. Il dit avec raison que tout ce qu’il y a de bon est l’œuvre de tout le monde, et que ce qu’il y a de mauvais est l’œuvre de quelques-uns. Les grands faits sociaux se sont produits « par des forces immenses, invisibles, nullement violentes. » Il y a eu là un moment unique dans l’histoire, où le cœur de l’homme s’est élargi. C’était l’explosion d’un sentiment nouveau dans le monde, l’humanité. La révolution aima « jusqu’à l’Anglais, » son éternel ennemi. Qu’on en juge par un trait bien plus étonnant, « les journalistes firent trêve. » Ce sentiment de l’unité par l’union des âmes va chez M. Michelet jusqu’à l’effusion panthéistique. Il s’écrie comme ferait un philosophe hindou : « Ah ! si j’étais un, dit le monde ! Si j’étais un, dit l’homme ! »

Ainsi la révolution a été faite par tous ; elle n’a pas été l’œuvre d’une secte ou d’un parti. Ce vif sentiment de l’unité nationale qui éclate dans la révolution est la réfutation de la théorie jacobine qui sacrifie la France à la gloire de quelques hiérophantes. Pour M. Michelet au contraire, l’acteur principal de la révolution a été le peuple, et « les ambitieuses marionnettes » qui ont cru la conduire doivent être ramenées à leur juste mesure. Comme le peuple est le vrai acteur, il est aussi le vrai juge. Écoutez-le. — Qui a gâté la révolution ? C’est Marat et Robespierre. Le peuple « aime Mirabeau malgré ses vices, et condamne Robespierre malgré ses vertus. — Quelques-uns disent : Le bonhomme a perdu l’esprit. Prenez garde ; c’est le jugement du peuple. » Ce qu’il a retenu de 93, « c’est que la saignée n’en vaut rien. » Bien entendu que le peuple ici ne signifie pas