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à la main ; ils s’unissent par petites troupes sous le commandement de quelques chefs, et courageusement se mettent à retourner une lande inculte qu’ils ensemencent à la hâte, où ils récolteront de même. Ainsi du moins dans le voisinage des bourgs. A part l’olivier et la vigne, qui forment oasis à de rares intervalles, c’est là toute la culture en pays accidenté. Si le maïs manque, tant pis ; au lieu de faire maigre, on jeûnera, et ce sera carême toute l’année. Quoi d’étonnant à ce qu’on profite des occasions dépasser la frontière, si voisine et si tentante ? La faim chasse les loups du bois, et il ne faut pas trop leur en vouloir. En plaine, au marais, le long des plages basses, le mal est bien pire, et nous aurons lieu d’en parler.

Pour qu’il y ait des hommes, il faut qu’il y ait du pain ; si l’on veut repeupler le désert, il faut qu’il soit fécondé. Pouvait-il l’être sous le gouvernement des prêtres ? Là est le nœud de la question économique qui s’impose à notre examen. Elle ne fut pas toujours une lande ; cette mélancolique campagne romaine qui fait de la cité papale un grand cloître isolé dans le silence. Il fut un temps où les peuples du Latium la cultivaient fructueusement, et la preuve, c’est qu’ils s’en disputaient la possession. Vêïes, Nomentum, Albe, Laurente, Ardée, Antium, avaient leur territoire, que fécondaient des travailleurs nombreux. Plus tard, sous la république romaine, il n’était pas besoin d’aller chercher des subsistances hors de la patrie latine. Rome, aidée des voisins qu’elle avait subjugués, fuit non-seulement assez forte, mais assez riche pour s’élancer vers des conquêtes toujours grandissantes ; la charrue lui en fournissait les moyens. Plus tard encore, sous l’empire, quand les richesses du monde, affluant à la capitale, permrent aux vainqueurs de faire venir les subsistances de Sicile ou d’Égypte, on cultiva moins les terres du Latium au point de vue du produit, mais on les transforma en villas splendides, en jardins, en parcs, en lieux de délices. On n’a donc pas affaire à un sol naturellement stérile. A présent même, malgré des siècles d’abandon, ce n’est pas un Sahara ou une Arabie Pétrée ; chaque printemps, cette campagne verdoie, la fécondité y est telle qu’un homme disparaît dans les hautes herbes de certains cantons. Je sais un rivage du Tibre où le blé verse presque immanquablement sans qu’on se mette en frais pour le fumer. Pourquoi travaille-t-on si peu ce sol fertile ? Pour bien des raisons, dont une seule suffirait : la législation s’y opposait. Voilà une assertion qui peut sembler étrange, mais l’étude des faits va nous l’expliquer.

Pour les deux tiers au moins, le sol est entre les mains des princes et des prêtres, c’est-à-dire sous le régime de la mainmorte. Quant à l’exploitation, elle appartient aux mercanti di campagna, sorte d’entrepreneurs qui font valoir de leur mieux, sans pourtant s’y