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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 97.djvu/385

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est séculaire en ce pays, le bien ainsi que les abus, certains arbres ont obtenu le privilège de se développer plusieurs centaines d’années, tandis que leur essence semblait maudite dans le reste de la contrée. Il y en a de 8 mètres de tour que la foudre seule a le droit d’ébrancher ; mais ceux-là sont des nobles qui ont eu le bonheur de naître en terre princière. On dit que les princes Chigi se sont fait, de père en fils, une loi de ne jamais abattre un arbre sur leurs domaines. Aussi allez visiter leur villa de Larizia ou leur forêt de Castel-Fusano, et vous serez émerveillés de la beauté sauvage de ces géans qui de leurs bras noueux bravent les âges et narguent les exploiteurs. Chênes de toutes essences ou pins arrondis en dômes, ils ne ressemblent, pas à ces échantillons travaillés que nous fournissent nos forêts de l’état. Jamais ils ne furent ébranchés. ; on ne les a pas fait monter en futaies régulières. Mouraient-ils, ils pourrissaient sur pied. Cette prodigalité de grands seigneurs ne manque pas de poésie ; pourtant quelles inconcevables conditions économiques cela ne suppose-t-il point ? Un peuple moderne, une nation qui veut vivre, peuvent-ils se contenter de ce grandiose lascia stare ? Heureux quand le feu ne vient pas, sur des centaines d’hectares, consumer le peu qui reste des maquis. Le mauvais vouloir intéressé ou la sottise d’un pâtre suffisait pour amener de tels désastres dans un pays où la surveillance, prévue nulle, ne se faisait guère que par d’anciens repris de justice travestis en gardes forestiers. C’est ainsi qu’il y a quelques années, si je ne me trompe, le duc Grazioli vit incendier bonne part de ses bois aux environs d’Ostie. Le feu est souvent pour le berger un système de défrichement expéditif — et coercitif. A la forêt détruite succède alors un pâturage tel quel, où les repousses le disputent à l’herbe.

La pastorizia est ici le mode d’exploitation auquel on subordonne tout le reste. De la mer aux montagnes, les bergers règnent en souverains par leur rôle plus que par leur nombre. Comme les grands personnages, ils ne se prodiguent point. La campagne se peuple non pas d’hommes, mais de bêtes ; encore y sont-elles plus clair-semées qu’une exploitation normale ne le comporterait. Ces grands bœufs gris au cornage immense appartiennent à une race osseuse introduite par les Huns, exactement semblable aux animaux dits hongrois, que l’invasion a promenés à travers nos provinces de France. Propre au travail, elle semble le contre-pied du durham pour la chair ; elle s’accommode à merveille de l’état demi-sauvage dans lequel on la laisse. Une étable est chose absolument inconnue pour ces pauvres bêtes. Nées au milieu du maquis, elles y grandissent presque seules, s’y multiplient à leur tour, et ne sont un peu apprivoisées qu’au moment de la lactation. Des troupes de chevaux velus comme des ours vagabondent, et cherchent leur maigre vie sans autres