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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 97.djvu/405

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plateaux arides quand ils sont déserts ; les landes les plus sèches sont presque aussi inhabitables que les marais. C’est que partout où la vie recule, la mort semble avancer. On a espéré dans les plantations pour assainir. Il est certain que la végétation absorbe bien des miasmes, que des bouquets d’arbres abritant une habitation contre certains vents venus des marais peuvent être des préservatifs ; mais quelle illusion est possible quand la côte la plus malsaine est toute plantée de forêts, de Nettuno à Ostie ? quand le chêne vert, le pin parasol, l’arbousier et des myriades de lianes végètent luxurieusement là où les repris de justice seuls osent venir chercher asile ? Dans la solitude des bois comme dans la nudité des plaines, la fièvre atteint l’homme, comme si elle voulait y régner et y habiter seule ; on ne parvient à lui échapper qu’après une lutte corps à corps qui dure plusieurs générations. Terrible cercle vicieux : il faut des hommes pour chasser la malaria, et c’est elle qui empêche de peupler les plus riches terres d’alluvion ! Ce n’est donc point par de brusques mesures de colonisation qu’on y parviendra ; il faudra la lente acclimatation des voisins immédiats. Les âpres montagnards sabins, qui déjà trouvent la plaine plus féconde que leurs rochers, viendront la coloniser, comme ils la parcourent déjà pendant huit mois de l’année, lorsqu’on saura l’offrir à leurs instincts d’appropriation. La patiente contribution de l’intérêt privé, les hardiesses obstinées de la rapacité humaine aux prises avec le danger, voilà ce qui vaincra l’hydre de Lerne et lui coupera une à une toutes ses têtes. La vie sédentaire naîtra forcément avec la vente du sol lui-même et le partage en milliers de lots. La culture se substituera peu à peu à la pastorizia, la ferme au pacage.

L’étude des faits et l’histoire entière du pays nous donnent raison. Les quartiers de Rome les plus bas, autrefois malsains, le Campo di Marte par exemple, sont les seuls habitables, parce qu’ils sont seuls habités. Sur plusieurs des sept collines, jadis très peuplées, la fièvre fait assez souvent des victimes, parce qu’elles sont désertes ou peu fréquentées maintenant. Les nonnes de la villa Mills paient tribut au fléau sur les ruines mêmes de la maison d’Auguste et du palais des césars ; c’est que le Palatin n’est plus peuplé que des ombres de ses anciens hôtes. Ostie, inhabitable aujourd’hui, même aux galériens qu’on chargeait naguère de l’exhumer des limons du Tibre, Ostie fut une grande ville, le rendez-vous du commerce, le port, le Pirée de Rome, et cependant les environs en furent marécageux de tout temps. Ils étaient même plus bas autrefois, puisque les atterrissemens du fleuve ont exhaussé le niveau de la côte. On y vivait néanmoins, et cela pendant plusieurs siècles de l’ère chrétienne. Antium fut une ville importante, Ardée un lieu