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fait, de raccommoder tant bien que mal les consciences qu’il a dérangées. À cet effet, il a puisé dans la philosophie hégélienne un corps de doctrine dont il s’est fait un credo, une sorte de catéchisme qu’il propose aux lecteurs de la Vie de Jésus pour leur tenir lieu de la foi qu’ils ont perdue. Tour à tour guerroyant ou pacifique, il a écrit des livres de controverse et de polémique audacieuse, des friedliche Blätter ou des messages de paix destinés à rassurer les épouvantes qu’il avait jetées dans les âmes, à dissiper les scandales qu’il avait causés. Un de ses ennemis l’a comparé à un médecin qui, l’épée au poing, assaillait le soir les passans dans la rue, et l’instant d’après ressortait de chez lui, sa trousse à la main, pour venir panser ses victimes.

Ceux qui ont beaucoup lu M. Strauss savent qu’en dépit des apparences il appartient à la classe des esprits tempérés, qu’il y a en lui du feuillant, et qu’il s’est toujours tenu en garde contre les entraînemens des esprits absolus. S’il a parlé de M. Louis Feuerbach, par exemple, avec une sympathie mêlée d’admiration, il n’a point suivi ce brillant et généreux talent dans les sentiers hasardeux où il est allé se perdre. Il a su reconnaître que la religion est plus qu’une vaine illusion, qu’elle a ses racines dans les profondeurs de la raison humaine, que ce serait peine perdue de vouloir l’en arracher. Il sait aussi que la tradition, la majesté des souvenirs et des noms consacrés, exercent un souverain empire avec lequel il faut compter, et cet empire, il le subit lui-même. Ce n’est point par prudence ni par habileté de conduite, c’est par une pente naturelle de sa pensée et de son cœur qu’il ne s’est pas enrôlé parmi les ennemis du christianisme, que ce fier Sicambre s’est toujours incliné respectueusement devant la grande figure du Nazaréen. En vain l’église lui a-t-elle crié anathème et l’a-t-elle mis au ban des fidèles ; il appelle de cet arrêt, il se dit croyant et chrétien. Le christianisme est, selon lui, indéfiniment perfectible ; il en apporte une nouvelle interprétation, c’est faire œuvre d’ami : on ne s’applique à réformer que ce qu’on aime.

Le malheur est qu’en pareil cas il ne suffit pas d’être sincère, il faut se faire croire. L’église, à laquelle M. Strauss a porté de terribles coups, se refuse à croire à la pureté de ses intentions, d’autant qu’il se glorifie également et du mal qu’il lui a fait et du bien qu’il se propose de lui faire. Les indifférens et les neutres, qui ne demanderaient pas mieux que de lui donner gain de cause, sont forcés de convenir que son credo est sujet à de grandes difficultés, que les espérances et les consolations qu’il offre aux fidèles ne valent pas celles qu’il leur ôte, qu’il paraît bien difficile de fonder une église sur des conjectures critiques et sur quelques théorèmes de