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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 97.djvu/539

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lui saurait contester, c’est que non-seulement il a replacé l’histoire évangélique dans son vrai cadre en l’éclairant du soleil de l’Orient, mais que le premier il a ébauché la psychologie des fondateurs de religions, et signalé avec un art merveilleux le mélange de grandeur et de faiblesse, d’enthousiasme et de calcul qui est en eux, les expédiens dont ils s’avisent pour surmonter les résistances, par quel secret ils marient la vérité avec les visions, des pensées éternelles avec de vaines chimères, et de quel secours leur sont ces chimères pour s’imposer aux foules et conquérir le monde.

M. Strauss s’est laissé distancer, il n’a pas su dépouiller le vieil homme. Il s’obstine à nous présenter le Christ comme un sage travesti en thaumaturge par l’ignorance et la crédulité. Que pensait Jésus de lui-même, de ses rapports avec Dieu, de ce divin royaume qu’il venait inaugurer sur la terre ? Croyait-il à son prochain retour s’attribuait-il le don prophétique et la vertu d’opérer des miracles ? Sur toutes ces grandes questions, M. Strauss se dérobe ou se raidit contre l’évidence. Quand il nous représente que, « si Jésus avait pu annoncer qu’il reviendrait, porté sur les nuées du ciel, pour réveiller les morts et tenir son jugement, son illuminisme se compliquerait de quelque présomption, » la naïveté de cet argument fait sourire. A ne juger les choses qu’au point de vue purement humain, les congénères du Christ sont les Buddha, les Mahomet, et nous n’aurions pas de peine à démêler chez eux une forte dose de cet illuminisme présomptueux. Fidèle à son parti-pris, c’est à Socrate que M. Strauss compare Jésus, rapprochement usé qui ne supporte pas l’examen. Socrate, ce type du sage, a passé sa vie à raisonner et à faire raisonner les autres ; il pensait s’acquitter d’un devoir en prouvant tout ce qu’il affirmait, et encore n’affirmait-il guère ; il disait à ses disciples : « N’en croyez pas Socrate, croyez votre raison, que Socrate vous apprend à connaître. » Que trouvons-nous dans les Évangiles qui nous rappelle cette méthode ? Ou ils ne sont qu’un tissu d’inventions controuvées, et nous ne savons rien du Christ, ou il nous faut reconnaître que le Christ parlait d’autorité. Qu’est-ce à dire ? L’homme qui ne prend pas la peine de démontrer ce qu’il avance, mais qui commande et qui s’impose, sent apparemment en lui quelque chose qui étonne et qui dépasse la nature. Son autorité est inhérente à sa personne, partant il se prêche lui-même. Ce n’est pas une raison qui parle à la raison, c’est un inspiré qui s’attribue une mission dont lui seul avec Dieu a le secret. Il annonce aux hommes un mystère qu’il éclaircit par des paraboles, qu’il justifie par des prophéties, et, à ceux qui contestent son mandat, il répond : Voyez mes œuvres, — et il accomplit des miracles. M. Strauss établit que, si les premiers disciples n’avaient cru à la