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porter comme candidat dans les élections au parlement de Francfort. Les discours qu’il prononça dans plusieurs réunions publiques conciliaient l’habileté et la franchise. « Le voici devant vous, disait-il aux électeurs de Steinheim, ce docteur Strauss que beaucoup d’entre vous, à ce qu’on m’assure, considèrent comme l’antéchrist en chair et en os. Je ne puis vous en vouloir, on vous a fait votre leçon, et ceux qui vous ont enseignés sont en partie d’honnêtes gens. Et cependant on vous a mal informés. J’ai écrit il y a treize ans un livre qui a prévenu les esprits contre moi. Très peu d’entre vous ont pris la peine de le lire, en quoi ils ont sagement agi, car permettez-moi de vous dire qu’il n’était pas écrit pour vous. Si un de vos agronomes publiait un traité d’agriculture, libre à lui de me déclarer qu’il n’est pas écrit pour moi. Je m’étais adressé aux savans, aux théologiens. Plusieurs personnes de ma connaissance, qui ne sont pas du métier, m’ont consulté pour savoir si elles devaient me lire ; je leur ai répondu : Gardez-vous-en bien, vous avez mieux à faire que d’étudier un livre qui vous mettra dans la tête des doutes que vous n’avez pas, tandis qu’il est destiné à résoudre les doutes qui tracassent depuis longtemps les théologiens. » M. Strauss ne pourrait plus tenir ce langage, ayant publié une Nouvelle vie de Jésus à l’usage du peuple ; mais il dirait aujourd’hui comme alors qu’il a toujours respecté la religion, qu’elle est sujette comme le vin à former des dépôts, qu’il a travaillé à purifier de sa lie le généreux nectar du christianisme. Après s’être ainsi confessé et disculpé, il exposait son programme politique, se déclarait franchement pour la monarchie constitutionnelle, pour le rétablissement de l’empire et pour l’hégémonie prussienne. Il parlait en bons termes de la liberté, avec un chaleureux enthousiasme de l’unité nationale. Les catholiques combattirent sa candidature avec moins d’animosité que le clergé protestant ; celui-ci faisait bonne garde, et conduisit ses ouailles au scrutin. M. Strauss échoua. Pourtant il réussit à se faire nommer à la deuxième chambre du royaume de Wurtemberg ; mais il s’y montra trop conservateur au gré de ses commettans, qui se plaignirent, et il ne tarda pas à résigner son mandat, à retourner à ses livres et à son écritoire. Il a gardé rancune au suffrage universel et satisfait ses ressentimens en traçant dans la biographie de Mærklin un tableau piquant des saturnales politiques de 1848, et le portrait d’un démagogue de Heilbronn, le brasseur Hentges, qui, plus riche en panacées sociales qu’en érudition historique, cita un jour les Hohenstaufen parmi les grands empereurs de la maison de Habsbourg. Les tribuns prennent quelquefois des libertés avec l’histoire, et leurs bévues sont la consolation des critiques qu’a maltraités le scrutin.