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certain ordre civil et politique ; elle est soumise à cet ordre jusqu’à ce qu’elle l’ait remplacé, et elle ne peut le transformer qu’en s’y soumettant, c’est-à-dire d’accord avec lui. En droit pur et abstrait, un peuple, par cela seul qu’il est rassemblé dans ses comices, est le seul souverain ; en droit historique et positif, l’ensemble des institutions établies représente seul la loi, et rien n’y peut être changé sans le concours et le consentement des pouvoirs légaux. Tel est le problème dont Fichte ne paraît pas avoir compris toute la difficulté.

À notre avis, il n’y a pas de critérium absolu et a priori qui puisse permettre de juger de la légitimité d’une révolution. C’est une question d’appréciation, et le jugement doit être, si j’ose m’exprimer ainsi, en raison composée du droit historique et du droit philosophique, de la légalité et de la justice. Appliquons ce principe à la révolution française. Sans nous demander si un peuple a le droit de changer son gouvernement, nous dirons qu’un peuple ne doit pas périr par les institutions qui sont chargées de le conserver. Or en 1789 la royauté française non-seulement était devenue impuissante, mais elle s’était déclarée elle-même impuissante par la convocation des états-généraux. Après avoir essayé de tous les moyens, voyant qu’il lui était absolument impossible de gouverner, elle a rassemblé la nation ; par là même, elle abdiquait comme puissance absolue : en appelant la nation à partager sa responsabilité, elle l’appelait à partager le pouvoir, car, s’il ne peut point y avoir de pouvoir sans responsabilité, il n’y a pas non plus de responsabilité sans pouvoir. La nation à son tour, ou tout au moins cette partie de la nation la plus nombreuse, à savoir la classe productive et laborieuse, à laquelle on venait demander de sauver les finances de l’état, avait le droit de prendre des garanties pour l’avenir, et par conséquent d’être délivrée des entraves qui pesaient sur elle. Ainsi l’abolition du régime féodal et de la royauté absolue était implicitement contenue et acceptée d’avance dans la convocation des états-généraux. Ces deux points sont les deux articles essentiels de la révolution française. Elle est donc à la fois dans son principe non-seulement juste, mais encore légitime. Quant aux événemens ultérieurs que le conflit des intérêts et des passions et les complications extérieures ont pu amener, quant au degré de destruction ou de transaction auquel on eût dû s’arrêter, quant aux déviations qui se sont produites, ce sont là des questions qu’il n’appartient qu’à l’histoire de résoudre, et qui échappent à toute appréciation générale. Ceux qui défendent encore aujourd’hui la révolution ne sont nullement obligés d’en accepter toutes les phases et tous les accidens. L’essentiel de cette révolution est dans l’abolition de l’ancien régime : or l’ancien régime abdiquait lui-même par l’impuissance où il était