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le taux du salaire n’est pas le seul point qui mérite d’être considéré dans un mode d’organisation du travail : encore faut-il que la santé, l’intelligence et la moralité de l’ouvrière ne soient pas sacrifiées, et que la femme, dont la destinée dans la vie est d’être épouse et mère, ne soit pas détournée des devoirs sacrés de la famille. Les adversaires du travail des femmes dans les fabriques n’ont aucune peine à démontrer que la grande industrie est pleine de dangers, qu’elle mine et détruit les constitutions faibles, qu’elle avance la caducité, et qu’elle entraîne la dégénérescence des populations. On signale, parmi les inconvéniens de ce travail dans les ateliers, la phthisie pulmonaire, le retentissement du métier mécanique dans la poitrine de la tisseuse, la chaleur des salles où s’impriment et s’apprêtent les étoffes. Tous ces maux ne sont que trop réels dans une certaine mesure ; mais croit-on que la petite industrie soit exempte de misères, de privations et de dangers ? Parcourez ces mille métiers, qui ne s’exercent pas dans les usines, examinez les conditions où se font tous les travaux variés qu’exige notre civilisation raffinée. Que deviendraient le travail et l’humanité, si l’on avait l’orgueilleuse présomption de proscrire toutes les industries que les médecins proclameraient insalubres ? Ce qui est vrai, c’est que dans beaucoup de cas les grands ateliers, même au point de vue physique, sont un soulagement pour l’ouvrière : ils sont plus spacieux, mieux ventilés, la surveillance y est plus facile, les lois y ont plus d’action et la police plus d’accès, les précautions sanitaires y sont mieux observées. Assurément il s’en faut qu’ils soient tous des modèles de correction, de propreté et de bonne tenue : bien des progrès restent à accomplir, dans lesquels l’administration et la loi peuvent jouer un rôle ; mais, à tout considérer, il y a une exagération notable à croire que la grande industrie soit par elle-même et naturellement plus pernicieuse ou plus meurtrière que les mille métiers obscurs des villes commerçantes.

Si nous examinons l’influence de la grande industrie sur l’intelligence et l’instruction de la femme, nous arriverons à des conclusions que beaucoup de lecteurs trouveront peut-être paradoxales. Il peut paraître étrange d’affirmer que le régime des manufactures a été favorable au développement de l’instruction scolaire ; telle est cependant notre opinion, et voici sur quels faits et quelles inductions nous l’appuyons. Ce n’est un mystère pour personne que les ouvrières des villes sont en général plus instruites que celles des campagnes. Dans le rapport officiel qui précède la statistique des cours d’adultes pour 1868, on dénonce « les préjugés qui ont fait regarder jusqu’ici, dans les villages surtout, l’instruction de la femme comme un danger. » D’un autre côté, si l’on étudie