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lui font souvent les concessions les plus graves, mais en réservant à son égard toute leur liberté d’action, en ne se faisant aucun scrupule de l’affaiblir par des critiques de détail ou par des applaudissemens donnés à ses adversaires déclarés, en laissant toujours suspendue sur le pays la menace d’un incident qui le renverse au profit de l’inconnu. Le gouvernement lui-même, soit sentiment de sa faiblesse vis-à-vis d’une assemblée dont il reçoit plutôt des assurances que des gages de confiance, soit nécessité des ménagemens réciproques entre les élémens divers dont il se compose, soit enfin irrésolution naturelle, pousse quelquefois jusqu’à l’abdication de ses plus incontestables devoirs la neutralité politique dont il s’est fait une loi. Il n’a de parti-pris que sur certaines questions qui ne sont pas proprement politiques ; il y pousse parfois l’obstination dans ses idées jusqu’à soulever entre lui et la représentation nationale, un de ces conflits qui laissent toujours les deux pouvoirs affaiblis, lors même qu’une rupture complète peut être évitée. Il affecte au contraire de s’effacer sur les questions où la nation aurait le plus besoin de savoir sa pensée et de sentir son influence. S’il sort de sa réserve, c’est par une intervention détournée, comme par une porte de derrière, ou bien par une sorte de coup de théâtre qui mécontente ceux dont il déroute les combinaisons sans satisfaire ceux dont il flatte inopinément les espérances et sans rassurer le pays, toujours inquiet au milieu des fluctuations et des surprises d’une politique d’expédiens.

C’est la plus funeste des chimères de croire qu’on peut accoutumer un peuple à se gouverner lui-même en s’abstenant de le gouverner. La vie politique ne serait que confusion, si elle ne trouvait pour la diriger certains organes, dont l’action n’est nulle part plus sensible et plus forte que dans les pays les plus libres. Les membres du cabinet en Angleterre sont les chefs non-seulement obéis, mais respectés de la majorité dans le parlement et dans la nation. Les minorités ont également leurs chefs, à qui elles ne marchandent pas leur confiance. Il y a enfin, pour conduire et pour contenir les masses populaires, une classe moyenne qui fuit du soin vigilant des affaires publiques son premier intérêt comme son premier devoir. Le moment n’est pas encore venu où nous pourrons nous approcher de tels modèles. Nous avons toutefois dans notre gouvernement, dans notre assemblée nationale, dans notre bourgeoisie, de grandes influences, moins incontestées sans doute, moins maîtresses de leur action, mais qui peuvent encore s’exercer efficacement et utilement, si elles ne se manquent pas à elles-mêmes. Il faut que chacune d’elles, dans sa sphère, prenne la forme d’une volonté ferme, sachant clairement ce qu’elle veut et le voulant avec